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la mystérieuse inconnue

posséder coûte que coûte la fortune paternelle indignement volée.

Tous les moyens seraient bons pour parvenir à ses fins. De sa propre autorité, il se constituait le vengeur de son père, et le justicier du mal commis jadis. Un renouveau d’amour filial et fraternel était venu faire battre son cœur plus violemment. Il regrettait presque d’avoir, de si longues années, délaissé le foyer qu’il adorait, et un désir, un désir fou, lui venait de réparer le temps perdu et un besoin impérieux de tendresse était en lui d’autant plus impérieux que les êtres qu’il adorait avaient plus besoin de protection.

Il en était là de ses réflexions quand des coups violents et redoublés ébranlèrent la porte d’entrée, il se dépêcha d’ouvrir. Dans l’embrasure de la porte, apparut, pâle, défait, les yeux hagards, presque chavirant, Chicoyne.

Il se tenait le bras droit un peu plus bas que l’épaule.

— Vite… cache moi… j’ai été tiré…

En une seconde, Pit Lemieux embrassa la situation et il sourit de l’opportunité qui s’offrait à lui, de sauver quelqu’un, en retour, il pourrait se l’attacher d’une façon plus étroite. Il est toujours intéressant d’être placé dans une circonstance qui nous permette de rendre un service qu’on ne peut oublier.

— Irma, criait-il.

— La jeune fille approcha.

— Panse Chicoyne, et fais-le sortir par la porte d’arrière.

Et se retournant vers le voleur, il lui demanda en peu de mots comment cet accident lui était arrivé.

L’autre répondit qu’on l’avait surpris dans une ruelle au moment où il sortait par un soupirail de la cave de chez un bijoutier. Il dut laisser son butin et se sauver à toutes jambes. Dans la course qui s’ensuivit, il fut blessé par une balle qu’un homme de police tira dans sa direction.

Le premier pansement, accompli, pansement très sommaire, vu les circonstances, Chicoyne se sauva par un escalier dérobé qui conduisait dans un autre logement habité par des personnes amies et où, par une trappe pratiquée dans le plancher et qu’un tapis masquait aux regards, il put se cacher dans la cave.

Il était temps. De nouveau, des coups retentirent sur la porte, des coups de crosse de revolver. Aucune tache de sang ne paraissait, ni sur les planchers ni ailleurs.

Calme, Pit Lemieux alla ouvrir, à la vue des deux policiers, le revolver au poing, il manifesta sa surprise.

— Vous me voulez ? demanda-t-il.

Les deux agents jetèrent un coup d’œil dans la pièce. Rien de suspect.

— Il est venu un homme ici…

— Quand ?

— Il y a quelques minutes.

— C’est curieux que je ne l’aie pas vu. Pourtant je ne suis pas saoul.

Comme il était devant la porte, les agents le bousculèrent et pénétrèrent dans la chambre.

— Vous pourriez peut-être vous montrer un peu plus poli.

— Toi ferme-la, dit l’un d’eux. On est de la police et on sait ce qu’on a à faire.

— Vraiment ? et si vous ne trouviez rien, et si je vous demandais si vous avez un mandat de recherche ? En tous cas, fouillez…

Les hommes de police fouillèrent, ils inspectèrent tous les coins et tous les recoins, mais inutilement, il n’y avait aucune trace du fugitif.

Pit Lemieux, ironique, les regardait aller et venir.

Quand ils eurent terminé leurs perquisitions :

— Et bien ! vous avez fait fausse route ?

— Pourtant il m’a bien semblé que l’homme était entré par icitte.

— Alors comment cela se fait-il que vous ne le trouviez pas ?… cherchez encore… savez-vous quelle heure il est, il est près de 5 heures du matin, et savez-vous que vous n’avez pas le droit de pénétrer chez les gens sans mandat après les heures légales ?

— Oui, mais notre homme est entré ici.

— Pouvez-vous le prouver ? cherchez encore et essayez de le trouver.

Les deux policiers se regardèrent. Ils connaissaient de nom Pit Lemieux et savaient qu’en maintes occasions il avait donné du fil à retordre à la police parce qu’il connaissait la loi sur le bout de ses doigts, et savait, avec un art magistral, se servir des mille et une chinoiseries du code de procédure.

— Vous êtes Monsieur Lemieux ?

— Lui-même.

— Alors, Monsieur, nous vous offrons toutes nos excuses.

Lemieux, souriant, toisa le plus âgé des deux, et après un clin d’œil, lui demanda :

— Prendriez-vous quelque chose.

Derechef, les deux hommes se regardèrent.