Page:Paquin - La mystérieuse inconnue, 1929.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
36
la mystérieuse inconnue

— Nous avons eu un hold up

Dumas s’approcha de la table, y posa les deux mains à plat et, le buste penché, regardant son interlocuteur dans les yeux.

— Jouons carte sur table. Tu fais partie du complot. Tu étais au courant de ce qui devait se produire.

Un mutisme prolongé accueillit ses paroles.

— Ainsi, tu ne veux rien dire. À ton aise… Dès ce soir tu es renvoyé. Et j’appelle la police.

— Je ne peux pas vous le dire. Ils me feraient arrêter eux aussi.

— Je ne te demande pas de nommer qui que ce soit ! On avait projeté de me « hold uper ». Dans quel but ?

— Vous faire chanter.

— Et toi tu me trahissais ! C’est bien, je sais ce qu’il me reste à faire.

Il recommença d’arpenter la pièce, les mains entrelacées derrière le dos.

Le silence régnait, un silence pesant et qui écrase la poitrine.

Humble, la voix de Johnson s’éleva.

— Monsieur Dumas, pardonnez-moi, ils m’ont fait chanter, moi aussi ; je ne voulais pas marcher, mais on m’a dit que si je ne marchais pas, on m’enverrait en prison.

— Dans quel but ?

— On en veut à votre argent.

— Qui ça ?

— Je peux pas vous le dire.

— C’est un homme grand, élancé, nerveux, jeune ?

— Oui.

— Son nom ?

— Je peux pas.

— Je t’en dispense, qu’est-ce que tu entends faire à présent ?

— Rester à votre service et vous aider. Vous défendre s’il y a moyen.

— Je suis donc menacé ?

— Oui, comme vous avez été à « la mode » avec moi, je vais l’être avec vous. Je vais vous aider sans que cela paraisse. Acceptez-vous ?

— J’accepte.

— Vous me permettez de ne vendre personne. Je ne le voudrais pas.

— Tu ne sais pas pour quelles raisons on m’en veut ?

— Non, il prétend que votre fortune, c’est à lui.

— Qu’il la prenne, s’il est capable. Tiens, je pense à une chose. Je te conterai cela plus tard… J’aurai besoin de toi. Tu m’aides ?

— Entendu ?

— D’ici là, motus. Tu viendras me prendre ce soir à huit heures.

— Quel char ?

— Le Rolls Royce. Il fait beau aujourd’hui, c’est d’en profiter, je préfère le Touring.

Et à huit heures, Johnson en livrée, attendait devant la maison que son maître prenne place dans l’auto. Pour cette fois-ci il s’installa au volant. Il avait besoin d’occuper son esprit à quelque chose.

Sa visite chez Julienne Gosselin fut courte, assez longue toutefois pour se faire une ennemie acharnée à sa perte. Aux avances, d’abord déguisées, il avait opposé une résistance passive, puis le dédain, puis le mépris, et finalement, après lui avoir dit qu’elle n’eut plus à espérer sa visite, il dut se retirer. Elle le chassa de chez elle, hautaine à présent, et lui confiant à son tour, que s’il se traînait à ses genoux, elle le cravacherait de son mépris à elle.

« Ça va bien, pensa-t-il, un ennemi perdu, deux retrouvés. »

XIX

Pit Lemieux enrageait. On l’avait vendu. Mais qui ? Il avait beau chercher, il ne trouvait pas. Ses soupçons tombèrent sur Johnson. Il le manda chez lui. De son interrogatoire, il acquit la certitude que la trahison ne venait pas de ce côté. Big Lake ? Non plus. Le Cyclope ? encore moins. Chicoyne ? C’était impossible surtout après qu’il venait de l’arracher des griffes de la police.

Force lui fut donc d’adopter comme définitive la version de Johnson, d’ailleurs très plausible. La victime se doutait de quelque chose et, en fin de compte, s’était montrée plus habile. La prochaine fois il sera plus prudent et élaborera davantage son plan d’action.

Ce plan d’action quel sera-t-il ? Il l’ignorait. Pour le moment, il décida de rester tranquille pour quelques jours, de sorte que la prochaine fois qu’il opérera, les soupçons ne seront pas éveillés.

Ayant liquidé ses affaires, il confia le soin de son établissement, le débit clandestin de boisson qu’il tenait, au Cyclope et transporta ses pénates à la maison familiale. Mai approchait. La maisonnette d’Ahuntsic lui paraissait un cadre trop modeste et pauvre pour lui et les siens. En banque, quelques milliers de dollars dormaient inscrits à son nom. Qu’avait-il besoin de cet argent. Les choses, en prenant une tournure autre qu’il ne l’a-