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la mystérieuse inconnue

rante de la vie pour qui il serait le premier amour.

Continuant ses réflexions, il jugea que c’était une perle rare qui ne demandait pour briller qu’un écrin approprié.

Au terminus d’Ahuntsic, elle descendit. La pluie avait fini de tomber. Le vent commençait à s’élever et c’était un vent frais. Transie, elle marchait vite.

À distance, il la suivit.

Elle contourna un coin de rue, puis un autre et s’arrêta devant une maison de brique à un seul étage, entourée d’un jardinet. Elle gravit les deux marches de bois de l’entrée, introduisit la clef dans la serrure de la porte et disparut à l’intérieur.

I

— Tu t’es bien fait attendre ! tu mangeras ton souper froid.

C’est par ces paroles peu engageantes qu’André Dumas fut salué lorsqu’après avoir sonné à trois reprises au No. XXX de la rue Mont-Royal, il vit Madame Boudreault, une veuve sans enfants et qui lavait des chambres, lui ouvrir la porte.

Madame Boudreault pouvait avoir une cinquantaine d’années. C’était une personne d’aspect sévère. Elle était sèche, anguleuse, avec un nez long et un menton effilé. Ses yeux, par leur douceur émue, toujours humides, indiquaient que sous ses manières brusques, elle cachait le meilleur cœur du monde.

— Tu seras toujours pareil. Quand est-ce que tu vas donc avoir de la conduite ?

— Mais, ma tante, c’est pas de ma faute, je me suis écarté.

— Écarté à ton âge ! Tu n’as pas de langue ? Tu n’es pas capable de t’informer ?

— Ma tante, chicanez-moi pas. Je vous assure que ce n’est pas de ma faute.

— Bon c’est assez, Va te mettre à table. Nous causerons après. Tes bagages ?

— Je n’en ai pas. Je retourne chez nous demain soir… Oh ! rien que pour quelques jours… j’ai changé d’idée tout à l’heure.

André s’attabla. Malgré l’annonce d’un souper froid, le repas que tante Germaine lui servit était succulent. Il se composait d’un bouillon à la reine comme potage, des tranches de porc rôties, des patates frites, et pour dessert des confitures aux fraises dans de la crème.

Le jeune homme y fit honneur. Attentive, Madame Boudreault le servait. Elle aimait ce neveu de toute l’affection dont son cœur sevré des joies maternelles débordait. Elle avait perdu son mari, alors qu’elle était jeune femme et André « l’enfant terrible » comme elle se plaisait à l’appeler était demeuré le seul être sur qui déverser un peu de sa tendresse. Il était le fils unique de son seul frère marié. L’autre était mort depuis quelques mois après être demeuré cinq ans sans donner de ses nouvelles.

— Veux-tu du gâteau avec ta crème ?

— Merci ma tante. Seulement si vous aviez du café, du bon café bien chaud et bien fort, j’en prendrais une tasse…

Il ajouta en souriant.

— Et puis, savez-vous ce qui serait bon avec cela. Une larme de cognac dans mon café.

— Enfant terrible !

Elle fouilla dans un tiroir du buffet et en sortit une vieille bouteille de cognac qu’elle conservait précieusement en cas de maladie…

Ses yeux s’attendrirent :

— On ne peut rien te refuser.

Le jeune homme, la figure épanouie, rendue de bonne humeur par l’excellente chair, se renversa sur sa chaise, les deux mains sur sa poitrine.

— Vous êtes une perle, ma tante.

— Tu ne fais seulement que t’en apercevoir ?

— Il y a longtemps que je le sais… Vous me permettez de fumer ?

Avant même d’en avoir reçu l’autorisation, il sortit de sa poche un de ces mauvais cigares, long et noir, qu’il affectionnait et dont la fumé âcre entêtait.

— Je vous avertis auparavant d’ouvrir la fenêtre…

Il ajouta en souriant.

— Ma tante, je vous le repète, vous êtes une perle… Et si mon affaire marche, vous allez voir que je ne vous oublierai pas.

— Tu n’en as pas eu de nouvelles.

— Non ! je dois y retourner demain. M. Gosselin n’était pas à son bureau. Il ne m’attendait pas avant demain matin. Vous rappelez-vous bien de mon oncle Gustave ?

— Oui un peu… Il ne donnait que bien rarement de ses nouvelles. Il parait qu’il était très riche.

— Je ne sais pas. Moi je l’ai vu la dernière fois, il y a cinq ans. Il revenait du Yukon. Il m’a fait un cadeau de cent belles piastres et d’une chaîne de montre… Tenez… je la porte tout le temps… Les lingots d’or n’en sont presque pas usés.

— Et tu es son seul héritier ?