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cou blanc et rose à la fois, d’une harmonie parfaite de lignes.

Il s’arrêta devant elle, lui prit les deux mains, et la contempla un instant.

— Vous avez tenu parole. C’est bien de votre part.

— N’est-ce pas ?… Vous ne me faites pas de compliments sur ma toilette ?

— Que voulez-vous que je vous dise…

— Que vous me trouvez ravissante…

— En effet, je vous trouve ravissante, la plus ravissante personne de la terre… Je vous trouve plus belle que le soleil… et voyez comme il est beau… on dirait que c’est fête aujourd’hui…

— Vous parlez comme un poète.

Il répliqua en riant.

— Pourquoi pas ?… un homme couronné par vous, un premier en classe… Je suis instruit… je lis beaucoup… plusieurs heures chaque soir.

Il était content de lui dire cela… pour se hausser dans son estime.

— Victor ! cria la voix rude d’Albert.

— Patiente une minute… J’y vas… Vous venez Germaine ?

Se tenant par la main, ils s’avancèrent en dansant, insouciant et joyeux dans leur jeunesse, jusqu’à l’endroit où stationnait la charrette. Les deux chevaux empiffraient du fourrage qu’on leur jeta de temps à autre.

— Et moi quelle va être ma fonction.

— Vous ! vous allez monter sur la charge et tasser le foin. C’est facile vous n’avez qu’a marcher dessus.

— Je ne serai jamais capable de grimper là toute seule.

Il posa ses deux larges mains sur les hanches de la jeune fille, et, la soulevant de terre, comme si rien n’était la déposa sur le sommet de la charge.

— Vous êtes fort !

— Moi ?

Il piqua sa fourche en terre, se contracta les muscles et se repliant les bras… Les biceps se gonflèrent, emplissant tout la manche.

— Ce sont des bras, cela ?

Amusée, elle commença de sauter sur le foin qui la faisait rebondir comme sous l’effet d’un ressort.

Les deux frères travaillaient avec acharnement. Ils ressentaient un peu de gloriole à déployer devant cette enfant toute la force et l’énergie dont ils étaient capables…

Sans relâche, les fourches s’abaissaient, s’élevaient et se raidissaient pour s’élever à nouveau, lourdes et chargées. Les veilloches disparaissaient du sol.

Germaine exultait… une joie d’enfant s’était emparée d’elle. Elle sautait, chantait, dansait, lançant à Victor des touffes de foin qui se mêlait dans ses cheveux, l’aveuglait… pénétrait jusque dans sa chemise par le col large ouvert…

Il tournait vers elle, sa bonne face de paysan, et lui souriait à son tour, montrant ses dents blanches, luisantes et polies… Il lui montrait le poing… la menaçait…

Elle riait plus fort, et recommençait son manège.

Il pensa que sa vie serait une grande vie, s’il avait toujours à ses côtés pour l’embellir, l’anoblir, la poétiser, l’être de séduction et de candeur, qui, ce matin, faisait de leur corvée un délassement.

La charrette, pleine à déborder, il gravit les échelettes, aida son frère à poser la grande pôle de bois en travers de la charge, et d’un mouvement de langue, commanda les bêtes.

La voiture s’ébranla… Les replis du terrain, la faisait cahoter, osciller… les moyeux grinçaient…

Le père était devant la grange quand la lourde charge s’y engouffra toute entière.

— Bien le bonjour, Mamzelle Bourgeois…

Et comme il avait fini, il retourna dans la pièce qu’il s’était réservée, continuer la besogne ardue de la fenaison.

Vers midi, Germaine fatiguée d’une bonne fatigue, qui lui mettait, aux joues de l’incarnat, aux lèvres du carmin, retourna chez elle. Victor l’accompagna. Il laissa à Albert le soin de rentrer les chevaux et de leur donner leur portion.

— Vous reviendrez au Plateau.

— Certainement ! À la première chance que j’aurai…

En la quittant, il sentit le désir naître en lui, de se retourner, de la serrer dans ses bras et de l’étreindre bien fort.

Il l’aimait !

Maintenant, il ne doutait plus. Il savait.

Ce fut en courant qu’il retourna chez lui. Pour rattraper le temps perdu, il avait pris un raccourci, à travers les champs. Il se sentait léger, enjambant les fossés, sautant les clôtures, comme en se jouant.

Dans sa tête, il sonnait des grelots. Et ces grelots parlaient, ils avaient une voix ; ils disaient ; ils répétaient « Je l’aime ! Je l’aime ! Je l’aime ! »