Page:Paquin - Le mort qu'on venge, 1926.djvu/8

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soin d’invoquer un Être Supérieur et qui se manifeste à chaque catastrophe, il s’agenouilla au chevet du cadavre. Fervents, les accents de sa prière montèrent vers le ciel. Il implorait la miséricorde de Dieu… Il priait, il priait, il priait.

Puis, il prit le goupillon entre ses mains, redevenues calmes, le trempa dans le bénitier, et, religieusement, aspergea le cadavre.

La paix l’envahit ! Il était maintenant comme un automate. Le physique reprit ses droits. Ses genoux qui tantôt claquaient ne bronchèrent plus. Les pulsations de son cœur devinrent plus régulières. Un homme pénétra dans la pièce.

Il s’agenouilla, marmotta quelques mots, et alla le trouver.

Il lui serra la main.

— Monsieur Daury, toutes mes sympathies.

— Merci.

— Puis-je vous parler un instant ?

— Suivez-moi dans le fumoir.

C’était un reporter.

Aussi froid maintenant qu’il était désemparé tantôt, Julien lui conta ce qu’il savait de la vie de son père. Comme l’autre lui demandait une photo, il alla même en chercher une à l’étage supérieur, dans la propre chambre du disparu.

C’était fini. Ses traits étaient figés pour jamais dans une impassibilité douloureuse, où il y avait aussi de la haine, haine de l’humanité, haine de la fourberie féminine.

Quelques autres reporters arrivèrent. Il leur raconta la même histoire.

Fatigué, harassé, il monta à sa chambre après avoir condamné sa porte d’entrée, se dévêtit, et fit deux heures durant des exercices de culture physique. Il était fier de sa force et il la cultivait. Cela lui assouplit les muscles. Il se jeta dans le bain, fit ses ablutions, procéda de nouveau à sa toilette et retourna dans le fumoir.

Les journaux annonçaient la mort d’un homme d’affaires avantageusement connu dans Québec. Il les lut, et comme si rien n’était arrivé, parcourut les autres nouvelles de la ville et de l’étranger. Elles l’intéressèrent moins que d’habitude. Un ressort était brisé en lui. Rien dorénavant ne l’intéresserait… oui… quelque chose l’intéresserait. Un projet prenait corps dans son esprit, qui se développait et grandissait. Et c’était un projet vague de vengeance.

Il le chassa par esprit chrétien, mais le projet s’implanta impérieux. Il lui commandait. Un instant la tentation l’envahit de prendre son revolver et de sortir et d’aller. Où ? Il ne le savait pas. Chez elle ? Mais Elle, qui était-ce ? Peu lui importait ! La brute réveillée, réclamait l’œil pour l’œil, la dent pour la dent, la mort pour la mort. Mais il tendit toutes ses facultés à résister à cette tentation. Elle ne valait pas la peine qu’il fasse une démarche pour elle. Et puis ce n’était pas digne de lui, le civilisé, ce mode de vengeance.

Il se confia à la Providence. Il croyait, et comme tel, eut vite fait de sortir victorieux de cette lutte de conscience.

Dans la soirée, les visiteurs commencèrent d’affluer. Reposé par ses exercices de tantôt, Julien les reçut. Une vieille tante, à qui il avait téléphoné, avait bien voulu venir lui tenir compagnie jusqu’après les funérailles. Elle veillait au ménage, s’occupait de la cuisine et de préparer un réveillon aux quelques intimes qui se décideraient à passer la nuit.

Vers minuit, deux des rares intimes du jeune homme vinrent le voir et passer avec lui cette première nuit de deuil.

C’était Paul Chantal avec sa femme. Paul Chantal pouvait avoir une trentaine d’années. Condisciple de collège de Julien Daury bien que plus âgé, il s’était lié d’amitié, pour lui, et cette amitié avait survécu même après son mariage, l’année précédente, avec une jolie fille, Yvonne Berger, délicate et menue, musicienne dans l’âme et jusqu’au bout des doigts qu’elle avait fins et roses. Chantal comprenait Daury. Il l’aimait, l’estimait et devinait que derrière ce masque d’indifférence et de froideur, il y avait un cœur capable de vibrer, et de souffrir à l’occasion.

Julien fréquentait beaucoup le jeune ménage. Il passait en compagnie des jeunes époux des heures charmantes, vite écoulées. Yvonne se mettait au piano et interprétait pour lui quelques sonates de Mozart, surtout celles intitulées No. 9 et qu’il affectionnait particulièrement. Elle lui jouait aussi du Schumann dont la force tempérée de douceur lui plaisait. Elle excellait à rendre sur le piano la pensée artistique de cet auteur surtout le « Carnaval de Vienne » les « Papillons » et le « Paysan