la lumière électrique comme de l’or liquide.
Une quiétude douce était en eux ; ils respiraient la gaieté d’être enfin délivrés de ce cauchemar de l’incertitude.
Pendant que son compagnon lui faisait part de ses projets d’avenir, qu’il lui disait comme quoi, dès la semaine prochaine, il aurait son bureau à lui, rue St-Jacques, Lucien Noël feuilletait distraitement les pages du journal.
Soudain, il tressaillit et une impression de souffrance se dessina sur ses traits.
— Qu’est-ce que tu as. Mauvaises nouvelles ?
Pour toute réponse il lui tendit le journal en lui indiquant un entre-filet dans la colonne des Mondanités. Et deux grosses larmes qu’il ne put retenir coula le long de ses joues. Un écroulement fatal, la perte de toutes ses illusions, une catastrophe sentimentale venait de s’opérer. Il se sentait bouleversé et tout son système nerveux épuisé par la tension des derniers jours, l’abandonna complètement.
Jacques put lire ces deux lignes fatidiques qui signifiaient pour son ami tant de douleur et de douleur si vraie, une douleur qu’il ne pouvait comprendre pour ne l’avoir jamais ressentie, mais dont il devinait tout de même la profondeur pour en apercevoir les ravages chez Lucien.
« On annonce les fiançailles de Mlle Marcelle Beaudoin avec M. Charles Pépin. »
— Mon pauvre Lucien, lui dit-il simplement.
Les yeux fixés, Lucien regardait le verre à moitié vide, sur la table devant lui ; il le remplit jusqu’au bord et le but d’un trait.
— Tu ne sais pas, Jacques tout ce qu’elle était pour moi. Elle était mon courage, mon énergie, mon ambition. Elle incarnait tous mes rêves d’idéal, et de félicité.
Jacques se taisait ne sachant quels mots de consolation il pourrait lui dire. Il avait peur par une phrase maladroite, de plonger plus avant le fer dans la plaie.
Et toute sa joie de l’examen se trouva gâtée de ce chagrin. Il aimait son ami d’autant plus qu’il avait une espèce d’admiration pour sa supériorité intellectuelle. Rien de ce qui lui arrivait ne pouvait lui être indifférent. Il en voulut à Marcelle Beaudoin qu’il détesta sur le champ.
— Et elle m’avait laissé entendre qu’elle m’aimait. Quelle platitude que la vie.
Et il étouffait, et il s’exaltait, fébrilement.
— Non ce n’est pas possible ! Il doit y avoir erreur. Non ce ne se peut pas ! Si tu savais comme je l’aimais ! Comme je l’aime encore. Il me semble que je vais devenir fou. Pourtant… oui pourtant… elle m’avait demandé de travailler pour elle… d’essayer de devenir quelqu’un. Fou que j’ai été de me laisser prendre à son jeu.
Il éclata de rire, d’un rire saccadé qui lui secouait les épaules.
— Verse-moi un autre verre !
— Oublie donc cet incident ! Il y en a beaucoup d’autres à Montréal qui la valent et qui sont plus dignes de toi. Tu avais peur de n’être pas digne d’elle. C’est elle qui ne l’est pas de toi. Elle t’a trompé, indignement trompé. Venge-toi par l’indifférence et par un mépris hautain.
— Je ne peux pas la mépriser. Je ne le pourrais jamais. Imbécile que j’étais ! J’aurais dû me douter de tout ce que signifiait cette abstention à me voir… un autre avait son cœur… un autre… il va la posséder toute… son corps, son âme… son esprit, son cœur. Et cet autre rira de moi ! Ensemble ils reliront mes lettres dans l’intimité tranquille de leur demeure. Et il me plaindra le malheureux.
Eh ! bien oui ! Je croyais qu’elle m’aimait et pour elle je travaillais d’arrache-pied ; je piochais mon code. Je travaillais dix heures par jour.
Il se leva tout d’une pièce comme un automate. Une lueur terrible brillait dans son regard. Ses joues étaient exsangues et ses lèvres blêmes.
— M’entends-tu ? Jacques. Si je la tenais là, devant moi, je la tuerais.
Il retomba sur sa chaise et se mit à sangloter.
— Non ! je l’aime trop pour cela. Je me jetterais à ses genoux. Je mendierais un peu de pitié.
— Écoute-moi mon pauvre Lucien ! Es-tu un homme ou une guenille ?
— Je ne suis plus rien, rien qu’une loque humaine. Je n’ai plus de goût à rien. Si je m’écoutais ce soir, je me logerais du plomb quelque part.
— Ces propos ne sont pas d’un homme. Tu as été trompé, soit. Remercie la Providence plutôt. Les femmes ! Il ne faut pas s’y attacher ! Aucune ne mérite l’atten-