Aller au contenu

Page:Paquin - Les caprices du coeur, 1927.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
LES CAPRICES DU CŒUR

Bientôt, il ne souffrit plus. Il ferma son cœur aux sentiments humains, et se fit une philosophie fataliste.

Il ne détestait pas les femmes parce que les détester — suivant en cela les conseils de Mainville — c’était leur accorder une importance qu’elles ne méritaient point. Il les ignorait et les méprisait profondément.

Sauf sa mère et sa sœur, qui, seules, avaient survécu dans le naufrage de ses illusions, il les considéra comme des êtres sans aucune sensibilité morale, et dangereuses à cause du formidable attirail de charmes qu’elles traînent après elles, et dont elles savent se servir avec une habilité diabolique.

Les sursauts d’enthousiasme qui le secouaient encore, il les reportait dans le domaine cérébral. Quand, parfois, les soirs de grande fatigue, il éprouvait un besoin impérieux de tendresse, de sympathie, il l’apaisait dans la lecture de quelques livres. Ces lectures faisaient dévier le cours de ses pensées, et, instinctivement, il recouvrait l’état d’âme désiré.

L’ambition d’arriver, de faire sa vie, de monter à l’assaut de la Renommée, il ne la comprenait pas.

Pourquoi, se demandait-il, tant de pensées et tant de luttes ?

Posséder l’argent, la gloire ! Être une personnalité.

Pourquoi tout cela ?

Pour la satisfaction égoïste de l’orgueil.

Elle n’est pas suffisante à justifier les efforts que demande un tel objectif.

Jules Faubert[1] commençait alors à brûler les étapes. Il le rencontrait sur la rue quelquefois et le jeune courtier lui contait sa marche rapide vers le succès. Noël l’écoutait tout surpris de voir que cela pouvait constituer un but.

Pour lui, l’argent et la gloire n’étaient qu’un moyen. Le But, alors, quel était-il ? Il n’osa se l’avouer. Il crut saisir que le But ultime de l’existence résidait dans l’amour. Mais, de l’amour, il n’en voulait plus. L’expérience passée lui avait suffi et il n’était pas disposé à tenter une nouvelle aventure.

Puisqu’il lui fallait de l’amour pour donner un sens à ses actions, il lui vint, et cela peut paraître contradictoire, un grand amour de l’humanité. Les petits, les malheureux devinrent l’objet de sa sollicitude.

Puisque, pour goûter mieux le charme des jours, il faut, pour leur en enlever l’âcreté, une passion dominante, il décida à son tour de lutter et de faire de l’apostolat.

Le journalisme, profession dont il avait fait l’essai, durant quelques mois, en rédigeant le « Quartier Latin » exerça alors une grande fascination sur lui.

Il fit part de son projet à Mainville un midi qu’ils se promenaient ensemble, rue Sainte-Catherine, après dîner.

— J’abandonne le Droit, définitivement.

— Pour quelle autre profession ?

— Le journalisme.

— Il n’y a pas d’avenir au pays dans le journalisme.

— Peut-être. Mais j’ai mon idée derrière la tête. Et elle réussira. Avant quelques années j’aurai mon journal à moi où, je pourrai dire ma façon de penser. Ça, c’est une satisfaction. Tu écris un article et quelque temps après, des milliers de cerveaux pensent par ton cerveau.

— C’est de l’orgueil. Le journalisme n’est pas une carrière. C’est un stage, une transition. Tu connais l’axiome : « Le journalisme mène à tout pourvu qu’on en sorte. »

— Un chroniqueur a écrit d’une façon plus juste : « Le journalisme mène à tout pourvu qu’on y entre. » La grande question pour le moment n’est pas de songer à en sortir mais bien à y entrer.

— As-tu une place en perspective ?

— Oui, au « Soir ». L’on m’a dit qu’ils augmentaient le personnel…

— Je te souhaite de réussir… Et Marcelle… L’as-tu revue ?

— Marcelle n’a jamais existé.

— À la bonne heure ! voilà qui est parler d’une façon intelligente.

— Toi, les affaires, comment vont-elles ?

— Pas mal, j’ai une cause importante la semaine prochaine : une affaire de vol. De ce temps-ci, j’opère à la Cour de Police. Le Droit criminel est ce qui paye le plus rapidement. Comme je n’aime pas beaucoup attendre, et que la patience n’est pas ma principale vertu, j’ai porté mes activités dans cette sphère.

Ils étaient arrivés devant l’Édifice du « Soir », le quotidien Montréalais, le grand

  1. Voir « Jules Faubert » du même auteur.