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LES CAPRICES DU CŒUR

s’enfonça dans un fauteuil, et les yeux fermés, essaya de ressusciter l’image d’Hortense. Cette image qui lui arrivait précise à la mémoire au moment où il y pensait le moins, ce soir, il ne pouvait réussir à la capter. Il essaya d’aider son cerveau en se remémorant certains détails de la toilette. Rien ne fit. Il était, dans l’impossibilité de la ressusciter. Aucun trait ne venait se fixer sur la cire malléable de son cerveau.

Aussitôt un désir naquit en lui, un désir impérieux de la revoir, de sentir près de lui sa présence, de poser sa main dans la sienne, d’écraser ses lèvres sur les siennes. Il avait soif d’elle. C’était comme un besoin physique de respirer. Des intonations bourdonnèrent à son oreille ; un timbre de voix qu’il reconnut. Il se leva et nerveusement se mit à marcher en rond dans son cabinet de travail.

Une idée s’implanta. Demain, il ira la voir, précisément demain, c’est samedi, et il est libre jusqu’à lundi. Il eut hâte d’être à demain. Il avait tant de choses à lui conter.

Soudain, il se surprit à parler à haute voix. Il lui parlait et ses phrases étaient belles, harmonieuses, charmeresses, et il lui semblait que chacun des mots qu’il disait, il se dégageait une force mystérieuse qui subjuguerait la jeune fille.

Il aurait voulu que la nuit s’écoulât d’elle-même. Quand il décidait une chose, son tempérament le portait à en vouloir l’immédiate réalisation. Il regarda l’heure, il n’était que dix heures et demie.

Pour que le temps lui parut moins long, il essaya derechef de s’absorber dans la lecture de son roman. Il fit la même constatation qu’il ne lisait que des yeux.

Il prit une feuille de papier et écrivit : « Mon cher amour ». Il griffonna des pages et des pages, racontant par le menu tous les incidents qui l’avaient amené à se découvrir un cœur. Subitement, dans une seule soirée, tout le passé s’était aboli ; un échafaudage de résolutions s’était écroulé. Il n’avait éprouvé aucun regret, celui de n’avoir pas su voir plus tôt tel que son cœur était. Il raconta toutes les tendresses et l’affection qui lui tardait de dépenser. Il se complaisait dans son amour, coup de foudre tardif qui anéantit en lui tout ce qui n’était pas le culte de la jeune fille.

Après avoir griffonné des pages et des pages qu’il relut avec satisfaction, anticipant l’effet que leur lecture causera, il crut que sa fièvre était diminuée, il pouvait se mettre au lit.

Les heures sonnèrent nombreuses avant qu’il pût fermer l’œil…

Dès son réveil, il demanda à sa mère de voir à ce que son habit bleu — un habit acheté récemment — fut bien pressé et soigneusement empaqueté dans sa valise.

Il questionna sa sœur sur le choix d’une cravate.

Ces diverses questions intriguèrent sa famille. Lucien n’avait pas l’habitude de se préoccuper ainsi de son accoutrement.

— Où vas-tu, Lucien ? lui demanda sa mère.

— À Québec.

— Il n’y a pas deux semaines que tu en es revenu.

— Cela ne fait rien. J’y retourne quand même. Une affaire importante.

Germaine sourit.

— Ne ris pas. C’est réellement une affaire importante.

— Je la connais…

Elle devint subitement sérieuse.

— Lucien, écoute-moi. Finis donc au plus tôt cette aventure… Tu perds ton temps… Je te répète que ce n’est pas une femme pour toi…

Agacé, il répondit :

— Je ne te demande pas ton avis… Je suis assez vieux pour me conduire tout seul.

— Tant pis pour toi. Tu le regretteras… Veux-tu un conseil ? N’y vas pas…

Ce semblant d’obstacle était suffisant pour ancrer davantage en lui la résolution qu’il venait de prendre.

Dès son arrivée à Québec, il téléphona à Hortense. Elle était libre ce soir-là. Il promit de lui rendre visite. Il trouva un prétexte facile pour expliquer son voyage, se gardant bien d’invoquer le motif, l’unique motif.

Il faisait une soirée douce. La neige sur les trottoirs était molle. Lucien s’achemina rue St-Louis. Il était joyeux et faisait accomplir des moulinets à sa canne.

Quelques rares personnes se dirigeaient au Château pour la danse.

Il ne faisait aucun cas des promeneurs et sifflotait un air à la mode. Devant le Parlement, il salua. Il pensa à la session dernière et fut heureux du tour des événe-