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Page:Paquin - Les caprices du coeur, 1927.djvu/8

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LES CAPRICES DU CŒUR

 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Puis il crut remarquer que son attitude devenait plus distraite. Il pouvait la voir moins souvent. Quand il lui téléphonait sollicitant le bonheur d’une visite elle lui répondait qu’elle était engagée. Son amour devint plus violent en raison du danger qu’il courait. Il pressentait qu’un jour tout cet échafaudage de rêve devrait s’écrouler. C’était trop beau ce bonheur ! Alors l’ennui morne le tenaillait ; des mouvements de désespoir germaient dans son cœur ; il accusait la vie.

Il la revoyait et de nouveau l’Espoir surgissait, de nouveau il bâtissait des châteaux dans une Espagne imaginaire où il vivrait une vie magnifique en la présence continuelle de Marcelle.

Dernièrement, il lui demanda pourquoi elle refusa de le voir plus souvent. S’enhardissant, il lui conta alors tout l’amour immense qu’il avait pour elle ; il lui conta que, disparue de sa vie, il ne donnera pas un fétu de paille de l’existence. Et sa voix était pressante, chaleureuse, et ses petits yeux noirs brillaient d’une flamme brûlante ; et il frémissait de toute son âme.

Elle le regarda et peut-être qu’en cet instant elle fut sincère vis à vis d’elle-même et s’avoua qu’en effet, elle aussi l’aimait. Mais qui pourra jamais analyser ce qui se passe dans le cœur et le cerveau d’une femme ? C’est peut-être là dans cette incertitude lourde de conséquence, souvent, que réside ce charme mystérieux qui nous attire vers elle.

Comme il la pressait de question, elle lui répondit saisissant au bond le premier prétexte qu’elle put trouver :

— C’est pour ne pas vous distraire dans vos études. Vous savez que le jour des examens approche. Alors faites ce sacrifice pour moi, si vous m’aimez. Quelques mois sont si vite passés. Nous nous reverrons que très peu d’ici là… Plus tard je vous conterai pourquoi.

— Mais Marcelle vous ne savez pas ce que c’est qu’une semaine sans vous voir. Vous ne savez pas ce que c’est qu’une semaine sans voir vos yeux, sans entendre le son de votre voix…

— Vous m’aimez donc beaucoup ?

— Mais je vous aime plus que ma vie. Et cela je voudrais vous l’écrire avec mon sang.

— Comme vous êtes romanesque…

— Non Marcelle, je suis sincère. Vous, m’aimez-vous un peu ?

— Je ne sais pas. Si vous m’aimez comme vous le dites, vous allez m’obéir.

— Ce sera dur mais puisque vous l’exigez je vous obéirai.

— Merci ! Travaillez à réussir et ensuite…

— Ensuite…

Souriante et énigmatique elle répondit…

— C’est le secret de l’avenir.

Sur cette parole ils se laissèrent. Lui continua à se préparer avec ardeur aux examens prochains.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Deux fois par année les membres du Barreau de la province de Québec tiennent de grandes assises où là ils décident, quels sont ceux jugés dignes d’être admis soit à l’étude ou soit à la pratique du Droit.

Ces assises ont lieu à Montréal au mois de janvier et à Québec au mois de juillet. Ce sont deux dates fatidiques pour les étudiants, qui manifestent à cette époque des signes évidents de nervosité.

Là comme ailleurs il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. Une indisposition, le matin même de l’examen, un manque subit de mémoire, tout cela joint à la sévérité des correcteurs et à l’incohérence de certaines questions font toujours du résultat final quelque chose d’aléatoire.

En compagnie de Jacques Mainville, Lucien Noël, un soir de juillet prit donc le train à destination de Québec. L’examen avait lieu le lendemain matin vers 9 heures. Le train rentrait en gare à six heures ce qui leur donnait amplement le temps de se trouver une pension et de se délasser un peu avant que de s’enfermer dans une salle d’université où durant trois heures, ils devront parler des « agnats », des « cognats », des « tutelles », des « curatelles » et de toutes autres chinoiseries du code.

Noël, comme Mainville, dormaient aussi bien en chemin de fer que dans une chambre d’hôtel. Ils y dormaient même mieux. Le cahotement des wagons et le bruit monotone des roues sur les rails les incitaient au sommeil. C’est cette raison qui les fit décider de ne prendre le train qu’à la dernière minute.