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Page:Paquin - Les caprices du coeur, 1927.djvu/7

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LES CAPRICES DU CŒUR

beaucoup, d’entre nos confrères au collège, qui ont tourné leurs activités vers le commerce…

— Pourquoi n’as-tu pas fait comme eux. Il n’en tenait qu’à toi. Tu aurais pu suivre les Cours des Hautes Études, t’initier aux secrets de la comptabilité, apprendre les langues, étudier les grandes lois qui régissent le monde économique et… devenir Carnegie ou un Henry Ford.

— Le commerce ne me sourit pas.

— Qu’est-ce que tu veux alors ?

— Je ne sais pas… Bon… assez discuté… Pose moi des questions sur les premières pages du code que nous avons étudiées hier.

Pendant une heure les termes les plus arides du code civil et de la procédure passaient sur leurs lèvres. C’était comme partie de balle intellectuelle si l’on peut employer ce terme. Les questions partaient suivies bientôt des réponses. Elles auguraient bien des examens prochains.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Lucien Noël avait vingt-deux ans. Il était petit et nerveux. Ses yeux très noirs luisaient comme deux charbons dans sa figure pâle. Ils étaient remplis d’une vie secrète un peu mystique.

Quand il racontait à son ami que la carrière du droit ne lui souriait guère, pas plus que le commerce d’ailleurs, il ne mentait pas. Noël ne possédait pas le sens des réalités.

C’était un enthousiaste, un impulsif, et qui, comme tel, traversait, après les périodes d’emballement, des dépressions qui l’accablaient.

Il tenait de sa mère, créature éminemment sensitive qui avait aimé son Lucien et l’avait choyé avec une tendresse trop féminine. Le moindre choc le faisait souffrir. Le moindre heurt lui était une souffrance morale. Il ne faisait rien à moitié. Quand il aimait c’était tout son être qu’il abandonnait à ce sentiment.

L’an dernier, il avait rencontré, dans le Nord du Lac Quenouille près de Saint-Faustin où il était allé passé une semaine de vacances une jeune fille qui séjournait au même hôtel que lui, avec son père et sa mère. La jeune fille avait vingt ans, une jolie taille, de beaux yeux bruns, et une carnation rose.

C’était l’été avec sa féerie de jours somptueux que la lumière inonde. Le paysage était grandiose avec ses horizons tourmentés, ses montagnes bleues et son lac calme.

Lucien Noël n’avait d’autre chose à faire qu’à flâner et se reposer. Il connut la jeune fille le deuxième jour de son arrivée à l’hôtel, elle lui plut, il lui plut. Tout le temps qu’il passa en villégiature ce fut en la compagnie de Marcelle que les heures s’envolèrent, douces infiniment. Une idylle s’ébaucha entre eux qui laissa des traces profondes dans le cœur du jeune homme.

Quand il partit, ses courtes vacances terminées, pour regagner la cité fiévreuse, il évoqua tout le temps que dura le trajet, dans le train qui le ramenait vers Montréal chacune des minutes d’enchantement qui avaient composé cette semaine.

Jamais il n’avait été heureux à ce point ! Aussi pleinement heureux. Par la portière ouverte, l’air de la nuit venait se jouer dans ses cheveux et lui caresser les joues. Une langueur mélancolique s’emparait de son âme à la pensée que peut-être il ne la verrait plus. Elle l’oublierait, peut-être.

Pour conserver, vivace en elle, le culte de son souvenir il lui avait écrit une lettre courte, timide. Durant des jours il attendit la réponse… Il espérait et se désespérait à la fois.

Au bout d’une semaine, il reçut la lettre attendue. Il tremblait en décachetant l’enveloppe mauve. Il baisa pieusement le papier qui avait servi de véhicule à sa pensée. Il lut, relut, apprit par cœur les quelques lignes qu’elle lui avait envoyées et où elle lui disait avoir gardé un bon souvenir de lui. Il lui écrivit à nouveau, plus confiant cette fois. Entre eux s’établit une longue chaîne de correspondance, que seul, brisa, l’automne venu, le retour de la jeune fille à Montréal. Sa répugnance pour les études légales, disparut. Il étudia.

Avec ferveur, dévoré d’une ambition, être le premier aux examens. Chaque semaine, il allait lui rendre visite. Parfois aussi ils accomplissaient de longues promenades dans les sentiers de la montagne où les bouleaux aux troncs blancs, étendaient un dôme dentelée sur leurs têtes. Par terre les feuilles roussies que le vent avaient fait choir amortissaient le bruit de leurs pas.