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LE THÉATRE D’HIER.

captieuse. Mais parmi les clauses de style, et de quel style ! au milieu des chiffres fictifs et des dates illusoires, dans cette sage succession des paragraphes alignés et embrouillés comme les articles du Code, notez que cet homme froid en affaires est fermé pour jamais aux affections naturelles. Cet accapareur est encore un dissolvant. « On dirait que votre fille vous fait peur ? » dit-il à Desroncerets, pour le piquer au jeu. Il ne trouve pas mieux ; il ne pourrait trouver mieux, étant un homme d’argent, c’est-à dire un homme qui compte et ne sent point. Toute cette comédie n’est si forte que parce qu’elle dévoile impitoyablement d’acte en acte, par le développement des caractères et l’enchainement aisé des situations, cette funeste influence qui rompt les liens de la famille, qui met une tante aux prises avec son neveu, un père avec sa fille, un fils avec son père, et contrarie sournoisement la nature par des menées, dont l’honneur et le cœur font les frais. Qu’une veuve coquette et son beau neveu se brouillent au moment de recueillir la succession litigieuse de l’oncle défunt, cette tactique déployée à l’assaut d’un héritage est déjà une assez triste chose : et c’est presque le sourire de la pièce, l’ombre lumineuse qui fait valoir les touches plus vigoureuses et sombres. À côté d’eux, je vois un officier berné par les intrigues de son père et les avances irrésolues de la veuve, et là-bas, dans le château vendu hier, une petite fille qui se croyait aimée, et qui repaît son chagrin dans le secret de son âme, quand elle est seule, entre elle et Dieu. Et c’est la moindre souffrance qu’elle endure. L’argent lui réserve d’autres déboires et des sacrifices plus pénibles que celui de ses chères espérances. De la petite âme si tendre la vie fait une raison pratique ; de la douce Francine la tarentule de Desroncerets fait un homme d’affaires. Que dans cette famille déjà éprouvée par la mort, dans l’isolement à deux, qui par la communauté des souvenirs unit plus étroi-