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ÉMILE AUGIER

un monde où l’imagination s’arrête à des horizons limités, se heurte à des murs d’airain, et ne trouve plus assez de champ pour s’égarer en des transports lyriques. Elle est douce, sans être trop sentimentale, sérieuse sans mélancolie, franche sans impertinence, et résolue sans entêtement. Elle est telle que Dieu et l’époque bourgeoise l’ont façonnée : sensible, mais clairvoyante, pourvue de courage et déraison. Elle ne s’épuise point aux songes creux ; elle n’est pas non plus une banalité de salon, ni la poupée du répertoire, qui dit : papa et maman. Elle se réserve, et connaît son cœur. Elle en fait le bilan, comme son père fait sa caisse. Et si cette jeune fille ne vous semble pas jeune à vos souhaits, l’honneur en revient au siècle d’argent, qui escompte l’amour au taux de la dot, à 3 ou à 5 %. Cela même est d’observation ; et il est visible qu’Émile Augier s’est appliqué à les peindre telles, sans que la jeunesse y perdit toute sa grâce et sa fraicheur. Elles sont aimables, par un dévoûment obstiné, comme Francine Desroncerets, par la secrète résignation, comme Maïa des Fourchambault, par le charme d’une âme patiente et simple, comme Clémence des Effrontés. Tout cela n’est peut-être pas le mystérieux délice de l’amour virginal. Ce ne l’est même point. Et c’est plutôt quelque chose, en plus radouci et contenu, comme le séduisant mérite et les sérieux appâts que Corneille aurait pu prêter à ses héroïnes, s’il eût vécu à notre époque.

Quelle brave petite fille que Clémence, et qu’elle est bien née, cette Charrier bourgeoise ! Elle a vraiment quelques traits de la Pauline du vieux tragique, elle en a hérité la raison et le cœur. Et Fernande, la hautaine fille de monsieur Maréchal, en qui l’admiration fait naître l’amour, n’est-elle pas de la même lignée ? N’est-ce pas elle qui fait cet aveu : « J’ai vécu dans une souffrance au-dessus de mon âge, une souffrance d’homme, non de jeune fille. Il s’est livré dans ma