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LE THÉATRE D’HIER.

tête des combats qui ont, pour ainsi dire, changé le sexe de mon esprit. À la place des délicatesses féminines, il s’est développé en moi un sentiment d’honneur viril : c’est par là seulement que je vaux. » Elles ont grandi dans la maison d’hommes positifs ; elles ont un peu vu, un peu réfléchi, beaucoup aimé leur bonhomme de père, et, quand l’heure du sacrifice a sonné, elles sont résolues. « Il y a autre chose que l’amour, disent-elles uniment, dans la vie d’une honnête femme.» EL il faut croire qu’il y a autre chose, puisque tout l’attrait de ces honnêtes femmes et de ces jeunes filles réside dans les vertus solides et accessoires, qui aident à. supporter l’amour moderne. Ainsi va le monde, disent les optimistes, qui en prennent leur parti, ayant passé l’âge d’aimer. Émile Augier a été plus attentif à ces peines. Il a eu le regard assez pénétrant, et la main assez légère pour effleurer la poésie intime et un peu triste de ce sentiment que la société contemporaine a effarouché et perverti, bridant le cœur des vierges et détraquant celui des femmes.

Il y a réussi, parce qu’il était né pour la peinture de ces abnégations simples et un peu effacées. Il était naturellement incliné par son goût pour la morale domestique, par son penchant à la psychologie modeste, par son besoin d’observation précise et d’expression mesurée, par une sensibilité saine et sobre qui ne larmoie ni ne déclame, à déposer le meilleur de soi dans ces caractères d’honnêtes gens, hommes et femmes, qui vivent au sein de la famille, instinctivement bons et plus étonnés qu’atteints par les mœurs récentes. Mais le flot de ces mêmes mœurs lui apportait d’autres personnages, qu’il dut dessiner avec plus de vigueur, sans jamais se complaire a la violence, sans se départir, malgré la tentation du succès, de la sobre harmonie, qui est la caractéristique de sa pensée.