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LE THÉATRE D’HIER.

mais bonhomme. Moins frivole que le bourgeois de Molière, il a un but, il a son plan ; s’il est féru de noblesse, c’est par surcroit, ou plutôt par intérêt, pour rehausser et servir son ambition. « Encore un d’arrivé ! » Voilà le cri de son cœur. Il est un vieil ambitieux. Il Test avec passion, avec délices, foncièrement, extérieurement, de face, de trois quarts, de profil ; rien de la caricature. L’histoire de son moi est proprement une Restauration. Longtemps emprisonné, il s’est évadé, dilaté, élancé vers les brillants espoirs et les vastes pensers. M. Jourdain, au fond, était un brave homme, quoiqu’il eût l’air d’un grotesque. M. Poirier a l’air d’un brave homme ; il est digne, décoratif, modeste, et il est plein de superbe ; il a la mine ouverte, et il est concentré : il a toute la mine de ce qu’il n’est point. D’en faire une charge à la Gavarni, rien n’était plus aisé. Il est le type supérieur du bourgeois enrichi, madré, personnel, vaniteux, et point sot. De la rue des Bourdonnais transplantez-le dans une officine de tabellion compagnard : ses idées se rétrécissent, claquemurées dans un horizon plus étroit ; ses défauts s’exaspèrent ; c’est Maître Guérin. M. Poirier est un faux libéral ; il a l’autorité finaude et intransigeante du boutiquier parvenu. C’est son vice. Il se fait centre. Sa fille, son gendre, Verdelet, tous ne sont à ses yeux que des associés inférieurs et innocents, qu’il tourne à ses fins. Il n’est pas avare ; il est négociant. Il consent aux sacrifices utiles, et ne rogne sur les frais généraux et la réclame qu’au moment où la raison sociale menacée l’oblige à réduire ses visées. Le marquis est une valeur, qu’il achète à la hausse, quand elle est négociable, et qu’il liquide à perte, dès qu’elle n’est plus de rapport. Et comme au fond de l’égoïsme fermente toujours un levain d’orgueil, après avoir hasardé le bonheur de sa fille en un mariage de convenances personnelles, il brûle d’en assurer le malheur par une séparation qui venge son amour-propre joué. Esprit