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ÉMILE AUGIER

court, mais obstiné, d’une intelligence vive, mais spéciale, qui croit s’entendre à tout, qui peut prétendre à tout, sec et vain, mais non pas sans mérite ; respectueux de soi, dédaigneux des autres, ferme sur le passé et confiant dans l’avenir, M. Poirier reste le représentant d’une époque où la richesse a poussé de l’épaule la noblesse, pour la remplacer au pinacle et s’y tenir.

La sûreté du goût et du talent n’est pas moindre dans la peinture des Effrontés. D’abord Vernouillet.

Quand Scapin mourut, le subtil artiste de duperies laissait un fils, Crispin, gentil drôle, de gaité un peu folle, mais de naissance et de sentiments suspects. Crispin engendra Frontin, un valet de hasard, aux doigts crochus. De la même lignée naquit Figaro, qui s’institua tribun, pour être quelqu’un. Il ne manquait pas d’esprit ; il en faisait surtout. Il fit même souche d’hommes d’esprit, comme lui, qui en eurent davantage, ou du moins l’eurent plus positif et le laissèrent fructifier. Les petits Figaro, les rejetons de M. Figaro portèrent leurs gages à la bourse, et dépouillèrent la livrée. Tel est l’arbre généalogique de Vernouillet. — Au reste, rien de M. Poirier. Vernouillet n’est pas un parvenu : ce qui implique peines, labeurs, patience et longueur de temps. Il n’est même pas un homme qui se pousse. Il est un homme pressé. Il s’improvise et s’impose par un coup d’éclat, dût l’éclat fêler les vitres. Que sont morale, honneur, famille, patrie pour un homme de cette trempe, quia par devers soi la complicité de la fortune ? Le moyen de jeter cette espèce dans une comédie de mœurs, sans que le traître et industrieux coquin chavire dans le drame ou le mélodrame ? Vous ne connaissez pas Émile Augier… Faire de Vernouillet un escroc en passe d’arriver à tout, même à prendre l’allure d’un honnête homme, cela était neuf et vu. Oh ! que cela était vu ! Mais le trait du génie, comme dit l’autre, est d’en avoir fait un effronté, c’est-à-dire jus-