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LE THÉATRE D’HIER.

et de Panurge ; la Révolution l’a rejeté comme une épave. Il a cruellement subi les bienfaits de l’instruction : Pic de la Mirandole déclassé. Il n’est guère autre chose dans les Effrontés. Fils de portier, doué d’une rare intelligence, il fut envoyé à Paris, enfant prodige, destiné aux plus beaux succès scolaires. Il fut exploité par un « marchand de soupe », et finit par retomber sur un pied dans une officine littéraire et hebdomadaire, la Bamboche, à quarante ans, « le gousset vide et le corps usé jusqu’à l’âme. » C’est le pendant de Vernouillet, — avec cette différence, que l’un a fait ses études à balayer le cabinet d’un agent de change, étant plus pressé, et aussi plus pratique ; et que l’autre a eu un temps l’illusion qu’un demi-savoir mène à tout, et que la souplesse des aptitudes supplée à la direction de la volonté ; l’un confiant dans la force de l’argent, même mal acquis, l’autre dans la supériorité de l’instruction, même bâclée et incomplète ; l’un effronté, l’autre bachelier. Des deux lequel est le plus dangereux ? L’avenir le dira. — Mais Giboyer aussi a sa tare ; il est bon fils. Laissez-le vieillir : il sera bon père. C’est un vice du sang, une manie de sentimentalité qu’il a héritée de Figaro : le grand-père était tribun, celui-ci est socialiste, mais d’un socialisme théorique et critique plutôt qu’efficace (encore Figaro), irrité contre les abus plutôt qu’éclairé sur les remèdes, de belle humeur caustique comme Panurge, fertile en expédients comme Patelin : l’espèce d’hommes la plus misérable et la moins haïssable, quand elle s’avise d’être honnête à sa façon, et de joindre à une certaine naïveté foncière et très intérieure une effronterie fanfaronne et sceptique. Le mal que peut causer ce produit d’un siècle de lumières, dont l’esprit, la plume sont à vendre, Émile Augier l’avait indiqué dans les Effrontés ; il l’a fortement marqué dans le Fils de Giboyer.

Là ce gueux, ce forban de lettres, ce corsaire du jour-