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ÉMILE AUGIER

nalisme, cette intelligence factotum, capable décomposer le plus bel ouvrage humanitaire, et d’écrire les pires insanités, de s’élever aux plus hautes conceptions et de plonger dans les plus infâmes besognes, dépenser et de spéculer en philosophe et de sombrer dans les bas-fonds des industries vaseuses, de concevoir le plus libéral discours sur les réformes de renseignement, et de brocher à talent égal la diatribe contradictoire ; là, heureusement, Giboyer est un père, un père d’élite, qui se repaît et se grise de sacrifice, qui noie les vilenies de son existence dans les rêves et les vœux qu’il forme pour ce Maximilien, à qui il a donné de l’instruction solide et de l’honneur immaculé, « comme si ça ne coûtait rien », en qui il compte revivre d’une vie respectée et glorieuse, digne d’effacer « jusqu’au souvenir de la sienne». Là cette figure s’agrandit singulièrement ; elle a un relief incroyable ; elle s’assombrit et s’embellit à la fois. Elle est la plus étrange contradiction qu’ait pu révéler une époque positive, un chaos de clartés et de ténèbres, la contrariété vivante de l’instruction poussée à ses pires conséquences et de la nature qui répare bonnement les méfaits de l’esprit. « C’est la courtisane qui gagne la dot de sa fille. »

Quand Rabelais eut rencontré Panurge, ce spirituel bandit, il l’affubla d’un costume ridicule et lui chaussa le nez de grotesques lunettes, pour lui donner un air inoffensif et rassurer son monde. Lorsqu’Émile Augier découvrit Vernouillet et Giboyer, d’abord il en eut peur ; et, pour réconforter les honnêtes gens, à l’un il donna l’âme d’un laquais, à l’autre le cœur d’un père.

Quanta M. de Saint-Agathe, il l’a, hélas ! affligé d’une bosse, d’un dôme rond, exhaussé, dévié, au beau milieu de la colonne vertébrale. Cette bosse est le point de départ de sa carrière, « le point de mire de toute sa vie », le point d’arrêt de son avancement dans la légion, où il a pris du service et ne sera jamais que soldat. Il