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ÉMILE AUGIER


ou encore :

Je m’appelle Michel, et quand on ajoute Ange,
C’est qu’on veut me gratter où cela me démange.


Mais on ne saurait lui dénier la faculté de sentir vivement le bonheur calme, et de l’exprimer dans une langue puisée à la bonne source, populaire et savoureuse. Par ce côté, il rappelle Regnard ; si son style est moins pur quelquefois, il est de la même venue, jaillissant, résonnant, abondant en images familières, en digressions exquises, en vers qui pétillent et perlent comme les vins mousseux. Et surtout, il a le précieux don du rire, même en vers, de ce rire sain et prolongé, à la façon de nos ancêtres, de ce rire débridé qui secoue corps et âme. Relisez cette variation sur le bâillement, qui est pourtant le symptôme contraire, où l’écrivain se joue avec la franche gaité d’un style alerte et d’un bel estomac.

C’est très contagieux le bâillement, marquise.
Lorsque le bailleur peut bâiller avec franchise.
Un jour mon héritier bâillait, et par dedans
Me montrait le pâlis de ses trente-deux dents :
Ah ! me dis-je en bâillant moi-même à claire-voie.
Ces trente-deux dents-là laissent tomber leur proie.
J’étais vaincu, marquise, et me mis à chercher
À quelle blanche main je pourrais m’accrocher.


Et puis, avec cette santé intellectuelle, cette fantaisie honnête, cette richesse d’images simples et de tours aisés, il avait tant de verve naturelle, de sensibilité délicate, de clairvoyance dans l’observation, que j’avoue le préférer encore, lorsqu’il est délibérément moderne et qu’il écrit en prose.

Son goût y est plus pur. Il n’a le loisir de s’attarder ni aux jolies choses ni aux digressions agréables. Il est plus maître de lui, parce que son sujet est là, qui le ravit, qui le saisit, qui le presse, qui lui coupe les velléités de s’amuser aux mille gentillesses de la fantaisie. Quand d’Estrigaud parait, le moyen de flâner