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LE THÉATRE D’HIER.

meut là-dedans, le mystère de ces incertitudes et le secret de ces contradictions. Cela même est l’observation. Ainsi procèdent les vrais dramaturges ; ainsi, je pense, a fait M. Alexandre Dumas. Là est le don, l’intuition, la vue pénétrante de la réalité, la vue en scène.

« Je résolus, dit-il, de regarder la vie bien en face, de ne pas me laisser tromper par les fictions et les apparences… Sans morale de convention, mais aussi sans influence d’école, sans mot d’ordre de groupe, sans dépendance ni engagement d’aucune sorte, muni de cette gaité apparente qui est un permis de circulation à travers les êtres superficiels et qu’il faut écarter pour aller où l’on va, je partis résolument à la recherche, sur tout et sur moi-même, de cette vérité que j’étais décidé à dire, quelle qu’elle fût… Je cherchai le point sur lequel la faculté d’observation, dont je me sentais ou me croyais doué, pouvait se porter avec le plus de fruit. Je le trouvai tout de suite. Ce point, c’était l’amour. C’était bien certainement là que la bêtise humaine se constatait le mieux… Il ne me restait plus qu’à trouver le lieu où je pourrais, moi, simple volontaire, porter les meilleurs coups. Ce lieu, je l’avais à ma disposition, c’était le théâtre, qui m’offrait la mise en forme et en mouvement de ma pensée devant des milliers de spectateurs… Ce qu’on appelle du nom générique d’amour prend des aspects d’une diversité infinie, intraduisible (en apparence peut-être) selon les types, les caractères, les habitudes, les traditions, les coutumes, les tempéraments, les circonstances, les préjugés, les milieux, les corps, les âùes et les lois. Or (voyez quelle coïncidence !) il se trouvait que le lieu que j’avais choisi pour parler de l’amour, ce cinquième élément aussi indispensable que l’air, l’eau, la terre et le feu, il se trouvait que ce lieu, le théâtre, est justement et exclusivement consacré à la représentation et à la glorification de l’amour[1]. »


Et il se trouvait aussi (voyez encore quelle heureuse coïncidence !) que la rude secousse de 1789 avait à ce point ébranlé la société que tout ce qui avait été dit au théâtre sur l’amour pouvait être redit. Il se trouvait enfin que le résultat « des immortels principes » avait été le triomphe immédiat, dans le monde moderne, des idées positives, qui, si elles peuvent être considérées par le philosophe comme une importante acquisition

  1. Préface de la Femme de Claude.