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LE THÉATRE D’HIER.

M. Alexandre Dumas a pétri M. Alphonse, le don Juan du positivisme.

Et voici les amants magnifiques, les héros d’amour, ceux qui planent en des régions supérieures, où ni les convenances, ni la dignité, ni la loi ne sont plus rien quand la passion a jeté son cri, les chevaliers errants qui redressent les torts de la Providence, qui vengent les cruelles erreurs de la mairie, les lyriques, les enthousiastes, les princes charmants du rêve et de l’idéal, âmes isolées, à la recherche de l’âme sœur, qui est en puissance de mari. Pour ceux-là les poètes n’avaient eu que des tendresses, et les femmes approuvaient fort les poètes. M. Dumas a fait sauter les masques ; les héros se sont évanouis. Il a domestiqué ces lions superbes, rarement généreux, lia montré que ces grandes passions se réduisent souvent à un goût assez vif du plaisir défendu, à un penchant réfléchi pour les agréments commodes et au rabais, et que les plus sincères confondent volontiers amour-propre et amour, par un égoïsme inaliénable et une aptitude à se faire centre, alors qu’ils croient s’abandonner avec une fougue naïve et méritoire. Supprimez le mari : ces héros-là auraient bien de l’ennui parmi l’existence. Il est la garantie de leur indépendance, le modérateur de leurs folies, le désespoir de leur enthousiasme et le délice de leur vanité : chaperon détestable ou béni selon la température et la durée de la passion. Tant qu’ils en sont aux préliminaires, c’est Ruy Blas, c’est tout le romantisme, et avec quelle conviction !


… Je suis un malheureux qui vous aime d’amour.
Hélas ! je pense à vous comme l’aveugle au jour.
Madame, écoutez-moi ; j’ai des rêves sans nombre.
Je vous aime de loin, d’en bas, du fond de l’ombre ;
Je n’oserais toucher le bout de votre doigt,
Et vous m’éblouissez comme an ange qu’on voit !…[1].

  1. Ruy-Blas.