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LE THÉATRE D’HIER.

peu : il l’a voulu dogmatique et probant. À propos ou à côté de l’Évangile il a déduit ses équivoques sophistiquées et ses dilemmes intrépides. Ses personnages font plus de sermons, plus longs et quintessenciés, certes, avant de tuer ou de pardonner, que Jésus n’en fit à ses disciples, avant de mourir. Et ils pérorent et ils s’écoutent, ce qu’il n’est point établi que Jésus ait fait. Leur Foi est officiante et solennelle, mais combien éloignée de l’humilité chrétienne, qui voit, qui sait, et qui croit. On n’imagine point sans effroi M. Nicole et le grand Arnaud, de purs et vrais chrétiens, ceux-là, occupés à lire la Femme de Claude, M. Alphonse et les Idées de Mme Aubray. Mais je me figure sans peine leur piété surprise, leur âme étonnée, et la pitié profonde que soulèveraient en eux l’immense orgueil de ces justiciers et de ces rédempteurs, et le fastueux abus qu’ils font des saintes Écritures.

Ce qui manque donc, et d’abord, à l’Idéal chrétien de M. Alexandre Dumas, c’est une certaine mesure, humaine encore, d’humilité. Il serait si beau, Montaiglin[1], s’il absolvait simplement, sans imposer les mains, et sans psalmodier : « Créature de Dieu, être vivant et pensant, qui as failli et qui as souffert, qui te repens, qui aimes et qui implores, où veux-tu que je prenne le droit de te punir ? » Il est dans une situation si pathétique et puissamment conçue par le dramaturge, si seulement il ne prenait pas d’attitude ! Il était si vigouresement enlevé sur la toile de fond, ce commandant dont le courage s’est affermi, dont le cœur et l’esprit se sont épurés au spectacle du firmament, dans les longues soirées de quart, entre la mer et Dieu ! Cette réplique un peu solennelle et guindée ne lui échappe pas ; cette bénédiction est voulue. Si Montaiglin oublie, à un moment précis, d’être l’âme simple et bonne qu’il est, habituée au devoir, et coutumière du sacrifice, s’il

  1. Monsieur Alphonse.