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LE THÉATRE D’HIER.

n’ait pas épuisé les conséquences de ses prémisses. Car Camille cède à la volonté de sa mère, au lieu de lui vouer la haine qu’elle a encourue, puisqu’elle ne consent point qu’il sauve la brebis égarée. Oui, mais la pièce dévierait, et l’auteur n’a pu le vouloir ainsi. Et pourtant, à ce prix seulement, l’absurdité serait complète et radieuse. C’est donc que le texte, plus modestement chrétien, signifie que la créature humaine ne peut trouver d’excuse ni dans l’affection maternelle ni dans l’amour filial pour renier son Dieu ?

Alors qui ne voit l’abus du raisonnement ? Qui ne distingue l’impétueuse et subtile traîtrise du penseur, lequel, confrontant le précepte avec la parabole, relève une désespérante contradiction entre les deux passages de l’Écriture et en tire, par violence, son dilemme dramatique et peu orthodoxe ? Une brebis s’est égarée ; le premier devoir est de la sauver, parce que le pardon de Dieu est universel, sa bonté infinie, et que seront ses élus ceux qui pardonnent et sauvent en son nom. Madame Aubray sauve donc Jannine dans les deux premiers actes, et la sauvant accomplit tout son devoir de chrétienne. Camille aime cette femme, sans savoir d’abord qui elle est, puis, mieux renseigné, l’aime encore et veut parfaire, en l’épousant, le salut de la pécheresse et l’œuvre de sa mère. Un fils élevé chrétiennement s’éprend-il et aime-t-il comme un Armand Duval ? Peut-être y aurait-il à dire là-dessus. Mais tenons-nous-en à notre propos. Voilà donc madame Aubray prise entre ses idées et son amour maternel, et en proie à une lutte de la Foi contre la plus légitime et naturelle affection. « Je n’ai jamais lutté ? s’écrie-t-elle. Eh bien, vienne la lutte, je l’attends, je l’appelle ; et quels que soient les preuves, les exemples, les sacrifices que me commandent mes idées folles, je donnerai les uns et j’accomplirai les autres. » La crise est pathétique ; mais je déclare, en toute conscience, que j’en tiens la morale pour alambiquée et fausse. Je