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ALEXANDRE DUMAS FILS.

soutiens que cette femme, qui a déjà fait son devoir, je le répète, son devoir entier, dépasse le but ; que Jannine est sauvée, sans ce mariage, et que ce mariage l’absout trop commodément, sans les épreuves de la pénitence ; que, Camille étant chrétien, il ne s’agit pour lui de renoncer ni sa foi ni son Dieu, mais de maîtriser une passion hasardeuse ; et qu’en l’espèce l’autorité maternelle garde tous ses droits. J’ajoute que même déchirant son cœur et l’immolant, cette mère est aveugle et méconnaît la Loi ; car si Dieu n’a voulu l’amour que dans le mariage, il a aussi préféré l’union de la chasteté à la chasteté, et c’est pourquoi il a sacré Vierge immaculée (nous nous cantonnons dans le dogme, cela s’entend) la mère de Jésus. Et, pour parler franc, je ne puis croire qu’il ait ordonné que ses innocents et bons serviteurs payassent de leur amour et de leur nom les fautes des coupables, fussent-ils inconscients. Cela même est le sacrifice divin, qui est au-dessus des hommes. Il suffit au pasteur que la brebis soit retrouvée ; et rentré dans sa demeure, il ne dit point à ses amis : « En vérité, ma brebis est retrouvée ; il n’y aura de joie complète au ciel que si j’immole mes autres brebis fidèles pour éviter que celle-ci s’échappe de nouveau. » Et ainsi, les prémisses, qui n’étaient pas si fortement établies, aboutissent à une conclusion qui les exagère et les pervertit encore. C’est pure hérésie, vous dis-je, que ce prétendu Idéal chrétien, sans cesse adultéré, exaspéré par une scolastique dangereuse, par une conception de l’amour très païenne et assez romantique, et les artifices manifestes du démon. C’est le démon du théâtre que je veux dire.

Et si vous considérez que madame Aubray ne fait pas seulement le sacrifice de sa joie maternelle, n’offre pas uniquement en holocauste l’intégrité de la famille, l’espérance d’une lignée digne d’elle, de son grand cœur, et de sa sainte honnêteté, mais que mère, elle compromet le bonheur et l’âme sereine de