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ALEXANDRE DUMAS FILS.

avancer la science. Et puisque truc décidément il y a, je songe qu’il y en a beaucoup. Je vois des invités à dîner ici qui s’en vont diner là-bas. Je flaire une adresse qui me les escamote pour le besoin du spectacle. Et alors, le voyage à Strasbourg, la voilette, les petits pieds, la phrase d’anglais, les dissertations me laissent en un doute provisoire et bien gênant. Il est là, Robert Houdin ; vous êtes là, Monsieur Dumas ; ne dites pas non ; vous soufflez si haut, et si continuellement, que je vous demande en grâce de consentir à vous dissimuler un peu et ne pas effaroucher mon illusion. L’Ami des femmes est un chef-d’œuvre, dont vous pouvez être fier (là-dessus tous les délicats sont d’accord), à qui ne manque qu’un peu de discrétion dans le génie. Hélas ! les Perrichons sont légion : ils ont quelque effroi des sauveteurs humanitaires, qui nous tirent de dangers par eux imaginés, sans merci, sans répit, avec quelque dédain.

Et nous touchons à un point délicat. À ceux qui enseignent la science de la vie s’ajoutent ceux qui professent la science. Les uns et les autres font des expériences in anima vili, vivent dans une atmosphère un peu sèche, praticiens de sang-froid et nullement, oh ! nullement exposés à la sensiblerie. Je ne sais quelle bise souffle sur le théâtre, qui glace et cristallise les sentiments les plus naturels. De Jalin, de Ryons, Rémonin, qui ont passé leur tablier avant d’entrer en scène, vous dissèquent une âme sans un frisson. Ils tirent leurs malades d’affaire par profession. Ils ont ouvertement conscience de faire sur le cœur de belles opérations, impassibles pendant, satisfaits après ; et ce dilettantisme chirurgical attriste la grande âme du bon public, et la refroidit sur l’admiration que mérite d’ailleurs un si remarquable talent. En cela, M. Alexandre Dumas est responsable de l’esprit macabre d’une certaine école, qui proscrit de l’art la sympathie douloureuse, et notamment il aura là-haut à rendre