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ÉDOUARD PAILLERON.

aient gagné à ces influences diverses. Depuis plus de vingt ans, habitués à être d’après d’autres, ils ont désaccoutumé d’être eux-mêmes, avec leurs qualités et leurs défauts de race, et s’acheminent à devenir insignifiants. Leur fantaisie n’est guère occupée qu’aux variations de la mode, qui renouvelle ingénieusement la coupe des habits ou le genre du sport, sans ranimer les sentiments ni raviver l’esprit, qu’un scepticisme d’imitation a éteints. La mode est, pour quelque temps, impuissante à faire davantage : elle regratte les hommes, plutôt qu’elle ne les renouvelle. En faut-il un exemple ? Dans ces dernières années, le bon ton était à la désespérance, non pas aux mines penchées ni à l’attitude rêveuse des romantiques, mais à la désolation universelle, au pessimisme lamentable, qui se traduisait discrètement chez les gens du monde par un sourire un peu haut et blasé. On nous annonce pour cette année que le grand genre tourne à la gaité. Mais n’allez pas croire qu’il s’agisse d’une gaité libre et expansive, naïf témoignage du plaisir intense et selon la nature : ce sera, selon toutes probabilités, une belle humeur de parade et en surface, quelque chose comme la dernière mode du visage, un dessin plus avenant de la physionomie, qui se manifestera également par un sourire un peu moins supérieur peut-être, et parfaitement réglé pour la saison. La différence est-elle appréciable ? Les hommes du monde en seront-ils modifiés ? Nullement.

Pour quelques années encore ils sont embarqués à évoluer avec ensemble, à flirter mécaniquement à répéter les mots de M. Tel, à redire les saillies du politicien bien pensant, à parler anglais, comme chez l’Étrangère, ou argot, comme dans les coulisses, automates de plus en plus perfectionnés, et fermés hermétiquement aux antiques niaiseries du cœur, qui étaient le mérite et le charme de leurs ancêtres, les petits Marquis. Grâce à la vie du cercle, qui est un terrain