Avoir traîné ce pauvre général jusqu’à la mairie, avoir été à deux doigts de s’appeler Mme de Vory, et, faute d’un « oui » que l’apoplexie a coupé net, rester Fernande, comme devant, et teindre en noir, en grand noir, la robe blanche, et du bonheur échafaudé, de la famille entrevue, de la noblesse rêvée ne retenir que les écus par testament,
(Ah ! je l’entends encor demandant ses pastilles !)
et n’avoir pas même un gage d’amour, un porte-respect
(le pauvre homme !), pas même le nom, un souvenir
(pauvre général !), pas même veuve ! Là, M. Pailleron
a tout son jeu en main. Je soupçonne que, s’il n’a pas
hésité à installer la maîtresse du fils dans la maison
maternelle, c’était moins par un coup d’audace que par
l’intime conviction que la vertu, même acquise et très
méritoire, ne soutient pas la comparaison avec l’honnêteté
traditionnelle et simple de la famille. Oui, Esther
est une bonne âme, qui a droit à l’estime, et qui en
achète la faveur ; mais je distingue aussi qu’elle ne
comprend rien, quoi qu’elle en dise, au charme pur de
la jeune fille qui est sa rivale, ni à cette chaste inconscience,
ni à cette fière honnêteté de race, qui croit dans
les vieilles maisons, à l’ombre de l’orme centenaire que
l’aïeul a planté.
« Votre honneur, dit M. Poirier à son gentilhomme de gendre, n’est pas fâché que ma probité paie ses dettes. » Et M. Poirier paie, sans distinguer la nuance. Tout le théâtre de M. Pailleron, même dans ses pièces contestables, est fait de ces nuances-là.