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ÉDOUARD PAILLERON.

gère, qui menace de s’éterniser, il ne leur faut rien moins, pour les y résoudre, que l’insistance d’un oncle madré, qui prépare les voies et presse le dénoûment. Ils ont un peu l’air de chevaliers grandissons, que les équipées du boulevard n’auraient pas déniaisés. Ils ont la passion rythmée, le sentiment mélodieux ; leurs aveux s’exhalent en récitatifs : ils utilisent leurs souvenirs d’opéras. « Comme c’est rédigé », pensent les femmes. Peuvent-elles penser autre chose ? Plusieurs, qui ont fait de bonnes études, sont teints de spiritualisme : et ils s’en servent. S’ils n’ont pas l’ampleur de Bellac, ils ont du moins le tour de son éloquence frôleuse et captieuse. « L’autre soir, nous causions ensemble ; j’essayais de lui prouver théologalement qu’il n’y a pas qu’une passion qui soit un article de foi, que l’espérance est une vertu qu’on ne peut, sans péché, ravir au pécheur, et que l’amour est la charité du cœur… J’étais éloquent, elle était émue, cela allait très bien ; je t’assure qu’elle était émue. » C’est à croire que le langage de la galanterie est mort, et qu’une certaine littérature l’a tué.

Je laisse de côté Marins Fondreton, qui a jeté ses palimpsestes par-dessus les moulins, et à qui la passion n’inspire que des mots d’argot brouillés de citations latines, et aussi Roger de Céran, qui, par manière de marivaudage, prend feu pour les tumuli et les monuments de l’Asie occidentale : deux types issus d’une même conception, dont l’un est le complément de l’autre, très naïfs en somme, et même un peu monstrueux dans la société où ils vivent, avec, tous deux, des traits grossis et appuyés, dont l’outrance est rare chez M. Pailleron[1]. Mais Raoul de Géran, l’officier enflammé, empanaché, breveté, don Juan de garnison, enragé de mariage, ne voilà-t-il pas enfin un homme de ressources et un amoureux de fond ? Tranchons le mot. Les autres sont toujours lycéens, celui-ci est encore Saint-Cyrien.

  1. Cf. La Petite Marquise de Meilhac et Halévy.