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ÉDOUARD PAILLERON.

Madame de Rénat, une raison inquiète et attendrie, qui s’exerce à la charité, mais qui se complaît aux douces confidences, qui rit de ses erreurs passées, mais qui fatigue et trompe son cœur par les efforts incessants d’une maternité d’adoption. Et comme elle a plus souffert que l’autre, elle est aussi douée d’un courage plus clairvoyant ; après s’être retirée du monde, elle a la force de murer sa vie et ses espérances, et d’accomplir un sacrifice, qui, si peu qu’elle ait été femme, la consacre « maman ».

11 parait que le monde en est là. Si l’on veut voir à quel point M. Pailleron a pris parti pour la femme, il faut lire l’Âge ingrat. Nulle part il n’a fait une peinture plus saisissante de la moderne désorganisation, qui atteint les familles de l’aristocratie, et dont l’épouse est pour lui l’intéressante victime. Il a écrit là quelques scènes de haute comédie, et d’une profonde philosophie, qui, sous l’élégance des formes, découvre, sans l’étaler, ce mal qui travaille les hautes classes, et qui condamne à une situation équivoque, après un mariage expédié, une jeune femme comme Berthe de Sauves, si supérieure au fringant gentilhomme dont elle vit séparée. Cette union n’a pas eu de lendemain ; à peine Berthe s’est-elle donnée, qu’elle est dédaignée comme une enfant sans expérience et sans importance[1]. Elle est coupable d’ingénuité. L’époux, vain et léger, n’a eu ni le goût ni le loisir de lui apprendre à être femme ; et, à vingt ans, la voilà isolée, comme les autres, défiante comme elles, ne connaissant de la vie que les compromettantes obsessions d’un chaperon dangereux, et reportant toute son affection sur sa douce marraine, qui est à la veille de n’être pas plus heureuse. C’est l’heure que choisit le mari, vaguement ennuyé et fatigué, pour revenir à sa femme, qu’il trouve belle et séduisante, depuis qu’elle n’est plus à lui, et qu’un autre la serre

  1. Cf. L’Ami des Femmes.