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ÉDOUARD PAILLERON.

Mais, parce qu’elle est la « petite veuve, un être hybride », comme elle dit, elle s’imagine n’être plus la petite fille, et, comme elle est séparée, elle croit avoir fait assez de progrès, pour affronter une entrevue avec l’étrangère[1]. Orgueil et naïveté, enfant et femme du monde, elle est là toute. Elle s’évertue à être habile, et elle est bientôt déconcertée dès les premiers mots, jusqu’au moment où, piquée au vif, elle sort, la tête haute, d’une compagnie, qui n’est point la sienne, en présence de ce mari, dont elle ne connaît plus que le nom, elle rougissante et fière, lui penaud et à son tour humilié. Prenez garde que cette comparaison résume peut-être la morale du théâtre de M. Pailleron. Considérez ce gentilhomme, léger et blasé, qui s’acoquine dans une société cosmopolite, où l’on vit sur le pied de la moins innocente égalité, où sombrent tous ses privilèges de naissance et d’éducation, et d’autre part cette jeune femme, qui, par une candide imprudence, et pour rattraper le bonheur enfui, s’égare dans une maison bruyante, au milieu de mœurs mitoyennes, dont la seule liberté l’éclabousse ; et songez que si elle en sort fière, il y demeure humilié, et que peut-être il est des deux le plus naïf, puisque, après tout, il y perd davantage.

Cependant, il y a des mères qui assistent à ce spectacle, qui voient le train dont va le monde, les unes contemplant cette agitation avec plus d’étonnement que de mélancolie, et d’autres, plus inquiètes et moins résignées, qui séparent leur fille aînée, pendant qu’elles tâchent à marier la cadette. Mais, si les femmes sont nées veuves, à quoi peuvent bien rêver les jeunes filles ?

  1. Cf. L’Étrangère.