Page:Parigot - Le Théâtre d’hier, 1893.djvu/396

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
336
LE THÉÂTRE D’HIER.

et du hasard qui remplace la « professionnelle » par la soubrette, et je ne sais quel platonisme qui se répand sur ces scènes inédites, sont d’un Marivaux du second Empire. Les déclarations, le dépit, la brouille, la réconciliation, tout en est succulent. « Extase, longue, longue extase !… My little marchioness ! » Le « nouveau point de vue », le « sage législateur » ; les habituelles misères des amours furtives, les trois numéros des trois fiacres, le marmiton sur le palier sont d’une fantaisie démonstrative. La diplomatie galante des salons, « un petit coup d’œil, un éclat de rire à propos de rien, quelques mots insignifiants derrière l’éventail, et puis, quand vous me quittiez, un regard bien d’aplomb… J’en appelle à tous ceux qui ont l’habitude des femmes du monde… est-ce que cela ne veut pas dire : vous pouvez marcher ?… » le dénoûment même si adroitement aiguillé par une manœuvre inattendue, ce mari qui par un retour de crédulité pousse sa femme au bras de l’amant qu’il invite à dîner, et le soupir final : « troubadour ! » qui n’est pas indigne du suprême : « hélas ! » de Bérénice : autant de traits heureux d’une observation menuisée et tout de même directe.

Voilà donc un délicat chef-d’œuvre, dont l’infini détail nous remplit d’aise, — dont les ingénieuses surprises nous chatouillent, et dont l’esprit n’est bientôt qu’agacerie. Pas un mot de sensibilité naïve ; rien de vrai, d’uniment vrai. Cela est agile, minutieux, gracieux et crispant. La femme, le mari et l’amant n’ont pas pour un liard de simplicité. L’ironie les démange ; ils ont des transports mutins et gamins ; ils ne font pas leurs phrases, et ils s’écoutent parler ; au moment de s’attendrir, bon, voici qu’ils tirent la langue…

« Et vous, femmes, qui seriez tentées de m’imiter, femmes, qui avez, ainsi que moi, rêvé l’amour venant vous consoler des déboires du mariage !… Que n’êtes-vous là, mes sœurs !… Je ne vous donnerais pas de conseils, je ne vous ferait pas de tirade, je vous dirais simplement : écoutez, regardez, et souvenez-vous, mes sœurs, souvenez-vous ! »