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MEILHAC ET HALÉVY.

Je regarde, et je vois le geste espiègle de l’actrice, l’ahurissement de Boisgommeux, et je me souviens qu’en effet tout cela n’est pas sérieux, que tout cela n’a pas d’importance, que j’étais une bonne bête de me laisser aller à mon émotion que je refoule piteusement, dans l’attente d’une occasion meilleure. J’éprouve, mêlée à un plaisir très vif, une vague angoisse que ces hommes d’esprit, ces hommes du monde, ces observateurs qui clignent des yeux et ces amoureux qui à tout moment ricanent, ne se gaussent de quelqu’un, qui pourrait bien être le naïf et pas du tout aristocrate spectateur que je suis. Cette verve et ces voix blanches me gênent. Ces traits d’ironie sournoise et de fausse naïveté entrent en moi comme autant de pointes sèches. Cette grimace du sentiment me pique et m’énerve. Je suis à présent comme « une pelotte d’épingles, qui aurait conscience de son état », une pelotte à qui le destin aurait accordé la faculté d’être agacée.

Cette ironie continue est un défaut rare, savoureux, distingué, mais c’est un défaut, qui me gâte les meilleurs ouvrages de MM. Meilhac et Halévy. Encore une fois, il y a du clubman là-dessous, et un peu du « m’as-tu vu ? » Le théâtre, dont ils ont dévoilé les ridicules, s’est vengé sur leur talent. La source de sensibilité s’en est desséchée et tarie. Quand ils y veulent puiser, en vain ils frappent le rocher de leur magique baguette. Ils en sont réduits aux procédés factices, aux humiliations du mélodrame, du vulgaire mélodrame, eux, les observateurs délicats, les attiques ; on voit alors MM. Meilhac et Halévy « rivaliser » M. Sardou, selon le mot de la Cigale.

Les trois premiers actes de Froufrou sont proprement un délice. En aucune autre pièce ils n’ont tissé une trame plus légère et solide ; nulle part ailleurs ils n’ont attrapé un sujet qui convint davantage à l’agilité ténue de leur talent. C’est la Petite Marquise, avec