Page:Parigot - Le Théâtre d’hier, 1893.djvu/492

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
432
LE THÉÂTRE D’HIER.

« Vous pensez encore à cela, vous ! Si on ne voyait plus les gens, mon ami, pour quelques injures qu’on a échangées avec eux, il n’y aurait pas de relations possibles. »

Teissier s’est laissé prendre aux appâts de Marie Vigneron, une jeune fille posée, qui doit savoir compter, très capable d’adoucir, à peu de frais, les dernières années d’un vieux garçon.

« Qu’est-ce que j’apprends ? lui dit Bourdon. Il paraît que vous avez un faible pour cette jeune fille ? Préparez-vous à un siège en règle de la part de votre ingénue ; on compte sur elle, je vous en préviens, pour avoir raison de vous. »

Les traits abondent, qui, sous l’apparente impersonnalité des chiffres, révèlent une vue profonde des choses et des hommes. Je ne vois rien, par exemple, de plus fouillé que ce morceau, où Teissier se révèle calculateur infaillible et célibataire déclinant :

… « Douze mille francs, que vous me demandez, et vingt mille, qu’on me doit déjà : total, trente-deux mille francs, qui seront sortis de ma caisse. Je ne risque rien sans doute ; je sais où retrouver cette somme. Il faudra bien pourtant qu’elle me rentre. Vous ne vous étonnerez pas en apprenant que j’ai pris mes mesures en conséquence. Ne pleurez pas ; ne pleurez pas. Vous serez bien avancée, quand vous aurez les yeux battus et les joues creuses. Gardez donc ce qui est bien à vous, vos avantages de vingt ans… »

Il n’est pas jusqu’à cette madame de Saint-Genis, une mère déchaînée, qui s’enquiert de l’état de la fortune avant de savoir celui de la santé, jusqu’au mariage rompu de la pauvre Blanchette, jusqu’au mariage douloureux de la petite Marie qui épouse Teissier pour sauver les siens ; jusqu’à ce final et lamentable sacrifice qui me semble la vérité vraie, vaillamment observée. Il faut se dire, tout bas, une bonne fois, que notre vie moderne est de plus en plus fermée au roman, et que cet héroïsme de jeune fille est assez courant, encore qu’il passe souvent inaperçu. Et justement, la voilà, la vraie liquidation, peut-être plus cruelle que l’autre, mais aussi moins désolante, puisqu’enfin elle est une noble action, étant,