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LE THÉÂTRE D’HIER.

quelque chose de vraiment senti. Cela prétend à être d’un philosophe, né malin et supérieur.

Et, bien malgré moi, j’en arrive à la conséquence la plus fâcheuse de ce manque d’imagination, encore plus affecté que réel. À force de se travailler à étonner le monde par sa verve, M. Becque a fini par prendre le mot pour la chose et les concetti amers pour une philosophie. L’homme capable d’observer avec pénétration et de renouveler d’une vue ingénieuse et originale le jeu de l’amour sur le théâtre, en arrive à se faire d’un pessimisme assez naïf et superficiel une sorte de doctrine, ou mieux de code dramatique. Ses pires mots, ses mots de troisième acte en général, ne sont que des violences gratuites et des grossièretés sans excuse. Si la Parisienne riposte froidement à un amant honnête homme : « Vous devez vous dire que je ne suis pas libre, que j’ai une maison à conduire et des relations à conserver ; la bagatelle ne vient qu’après », si elle murmure, dans un mouvement de compassion : « Pauvre garçon ! Oh ! certainement, je lui ferai une petite visite demain », ce n’est pas elle. Monsieur l’auteur, c’est vous qui lancez la bagatelle et la petite visite, et qui pensez être bien clairvoyant et bien amer. Votre réalisme, en ce cas, n’est que broderie ; il est fait de chic, comme disent les artistes.

Et il vous conduit tout doucement à révoquer en doute l’honnêteté des femmes, qui n’ont pas doublé la cinquantaine, ou l’affectivité des hommes, qui ne sont pas des ivrognes, et à produire des remarques, toutes neuves, piquantes, ingénieuses, et d’un penseur, comme celles-ci : — 1o On reconnaît une honnête femme à ce signe, qu’elle a des enfants, marque son linge elle même (sauf les torchons), et boit du vin blanc entre ses repas[1]. 2o Tous les maris mangent trop, et meurent d’a-

  1. Les Honnêtes femmes.