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LE THÉATRE D’HIER.

beauté avec l’esprit. C’est la crise délicieuse de la fleur qui germe, se noue et s’épanouit. Et voilà Philiberte transfigurée, charmante au gré de tous, gentille, même aux yeux de sa mère qui la croyait laide, et joyeuse de triste qu’elle était, et d’insignifiante devenue piquante, agréable d’esprit. Ce changement s’est fait de scène en scène, à mesure qu’elle a cru en elle, en sa beauté, en son amour, qu’elle s’est éveillée, développée, muée de tout son être, ainsi que de scène en scène s’ouvrait au monde et à la vie son autre sœur, Agnès, par une progression insensible, une douce genèse, dont les moindres progrès sont aisément perceptibles, grâce au talent aisé et limpide d’Émile Àugier et de Molière. Mais le mariage est ici plus qu’un dénoûment. Il est une sanction. Or, cela est toute la pièce, et cela n’est point de Molière.

Si toutes ses pièces en vers ne sont pas aussi rigoureusement taillées sur le patron classique, on ne saurait trop marquer à quel point il a été rebelle au romantisme. L’usage s’est établi de considérer l’Aventurière comme une conciliation entre deux genres ennemis, et de publier que classique en est le vers, mais purement romantiques le cadre, la couleur et le jeu de la scène. L’usage est un tyran anonyme et irresponsable. A part certaines tirades, dont la forme extérieure rappelle quelque couplet de Victor Hugo et surtout d’Alfred de Musset, la couleur locale dans l’Aventurière se réduit à cette indication de la brochure : « La scène se passe à Padoue, en 15… » C’en est le plus clair, le plus précis, et le plus pittoresque. D’ailleurs aucune description, peu ou point d’effets de décor. On en trouverait davantage dans Bajazet. La scène est à Padoue, comme elle était à Athènes dans la Ciguë, à Carthage dans le Joueur de flûte, par une innocente fiction qui donne carrière à la fantaisie et déguise adroitement le fond même de l’œuvre et la saine morale qui y règne. Monte Prade est un Arnolphe vieilli et moins égoïste. Ho-