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LE THÉATRE D’HIER.

aide le développement de la pièce, sans raffiner ni finasser. Lettres d’amour ou d’excuses, ruine inattendue de la famille, coups de foudre de la passion, procès, plaidoiries, toute une part de l’attirail de la vieille comédie est mise à profit, sans prétentions, comme une machine un peu fatiguée, mais qui peut rendre encore quelques services. Dans les Lionnes pauvres, de toutes ses comédies la plus réaliste et moderne, il emploie pour arriver à ses fins une marchande à la toilette, madame Charlot, que nous avons tous connue à l’époque où elle faisait son apprentissage dans l’arrière-boutique de madame La Ressource. Mais surtout il s’attache fermement à l’ancienne formule d’équilibre dramatique, ou, pour mieux dire, au système de bascule si ingénieusement mis en œuvre par Molière, et dont il adoucit le jeu en le compliquant.

Il y a au moins deux manières de concevoir la composition dramatique. L’une, dont Corneille légua la tradition à M. Alexandre Dumas fils, consiste à mettre en présence des personnages et des intérêts contraires, et, par la vertu d’une irréductible logique, à les pousser en droite ligne vers le dénoûment. Ils passent par un certain nombre de situations logiquement nécessaires, presque prévues et fatales, qui sont véritablement des scènes à faire, moments pathétiques de l’action et comme les moyens termes d’un syllogisme théâtral. Pour peu que le problème initial soit nettement posé, les personnages vigoureusement dessinés, et les situations préparées d’une main sûre, l’effet est saisissant, l’émotion immanquable et lucide. Une autre méthode, qui est plutôt celle de Molière, et qu’Émile Augier a rajeunie et accommodée à la démarche de sa pensée, consiste à rechercher l’équilibre plutôt que la déduction, à combiner des alternatives plutôt qu’à opposer des antinomies, à frotter intérêts et personnages, si je puis ainsi dire, beaucoup plus qu’à les heurter, à les mouvoir dans le sens d’une série de