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ÉMILE AUGIER

courbes plus volontiers qu’à les astreindre à l’inflexible rigueur de la ligne droite, à les faire triompher tour à tour, selon que les sentiments ou les opinions qu’ils représentent sont à leur tour plus puissants comme dans la vie. Car la vie réelle n’est pas faite de théorèmes ; elle n’offre guère au regard de vérité absolue ; elle est le conflit et souvent l’alternative des probabilités. Après Molière, l’art d’Émile Augier consiste à équilibrer ces conflits, à ménager ces alternatives à peser tous les mobiles intérieurs à une balance très sensible, dont chaque plateau monte et s’abaisse successivement. Il en observe les oscillations, jusqu’à ce qu’au dénoûment l’inquiet fléau se fixe enfin. Pour y réussir, il faut plus de sagacité que de logique, plus de sensibilité et d’ouverture d’esprit que de vigueur et de décision. Le syllogisme s’assouplit en un dilemme. Cette composition renferme moins de pathétique et peut-être plus de vérité moyenne ; elle frappe moins, et sans doute contente davantage. La raison en est moins rectiligne, mais plus féconde, et fait paraître sans effort apparent les différentes faces des hommes et des choses, et aussi de la raison elle-même. C’est encore une fois, un équilibre instable, jusqu’au moment de conclure. Et cela est si proche de la vérité, qu’aujourd’hui les plus modernes semblent vouloir le simplifier encore, et, renonçant à ce rythme équilibré, se contentent d’en noter les alternances, suppriment les transitions, découpent la réalité en scènes solitaires, où la logique n’a rien à voir, où les contradictions seules subsistent. Pour un peu, on reviendrait aux comédies à tiroir, qui sont le squelette incomplet ou rudimentaire de la comédie d’Émile Augier.

On voit sans peine ce qu’il a emprunté de Molière, retenu de Scribe, et ajouté à tous les deux, pour rajeunir cette composition. C’est d’abord et d’autant que les mœurs et les personnages de ce siècle se sont compli-