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LE THÉATRE D’HIER.

Lionnes pauvres. L’épouse indigne s’en est allée ; le ressort de la vie s’est brisé en lui ; et, au moment où il quitte le théâtre, le pauvre homme n’ira pas loin. Maître Guérin aussi reste seul dans son étude, parmi ses paperasses notariées et ses actes d’une probité louche, après que sa femme et son fils ont abandonné ce toit à l’avarice et à l’adultère condamnés à y faire ensemble un pitoyable ménage. Ces audaces sont l’élémentaire et courageuse vérité. C’est l’envers de la vertu domestique et unie ; et c’est une autre façon de glorifier la famille, qui est l’objet et le fond même de la pièce.

De ce système de composition, à la fois classique et original, le Gendre de M. Poirier est l’œuvre la plus connue et l’application lumineuse.

Un jeune marquis, « orphelin à quinze ans, maître de sa fortune à vingt », a promptement exterminé son patrimoine. À ce prix il possède l’art de toutes les élégances, et, s’il est léger d’argent, il est plein de grâce et de distinction. En quête d’un préteur, il a rencontré un beau-père, M. Poirier. « Je ne lui offrais pas, dit-il, assez de garanties pour qu’il fit de moi son débiteur ; je lui en offrais assez pour qu’il fit de moi son gendre. » C’est l’ancienne et très véridique histoire de la noblesse qui fume ses terres, et affronte les hasards d’une riche mésalliance, pour réparer le lustre terni du blason. Seulement, la face du monde a changé depuis cent ans. Le bonhomme de beau-père, M. Poirier, digne de son nom, « modeste et nourrissant comme tous les arbres à fruits », est devenu l’égal de M. le marquis devant la loi. De là à lui vouloir être supérieur, il n’y a que l’épaisseur de quelques millions gaspillés par l’un et ramassés par l’autre. Gaston de Prestes a épousé une dot. Mais M. Poirier a acheté une influence et des relations. Il a mariésa fille pour lui et pour elle, suivant la maxime trop coutumière en bonne bourgeoisie. Donnant, donnant. M. Poirier paie les dettes de son gendre, avec l’espoir que son gendre sera désormais