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LE ROMAN DU COMTE DE TOULOUSE.


    défendue, dans un combat judiciaire, par un champion tout jeune ou de toute petite taille, contre un calomniateur de taille et de force exceptionnelle ; puis l’histoire réelle de Gundeberge, base d’un poème qui s’adapte au cadre préexistant ; ensuite l’histoire réelle de Bernard et de Judith, base également d’une composition poétique qui profite peut-être du thème antérieur et qui se développe plus tard par des fictions personnelles et des emprunts à des cycles étrangers (Crescentia, Octavien) ; enfin le poème anglais de Gunhild, adaptation du poème de Gundeberge, peut-être avec influence du Comte de Toulouse, et développant dans la poésie anglaise, imitée par la poésie scandinave, une riche ramification où bien des traits s’altèrent, s’ajoutent ou se renouvellent. À cet ensemble de compositions poétiques, il est inutile de chercher une origine mythique, car l’imagination des hommes, soit pour s’intéresser aux malheurs réels d’une victime innocemment persécutée et au triomphe du bon droit, soit pour inventer des aventures de ce genre, n’a pas besoin d’y voir des symboles de phénomènes cosmiques, météorologiques ou solaires. On peut seulement trouver surprenant que l’histoire et la fiction se mêlent de si près, et qu’on doive admettre en même temps, par exemple pour Gundeberge et pour notre poème, une réalité historique essentielle et une adaptation à un poème antérieur. Mais cela se comprend très bien dans un milieu social qui ressemblait à celui des poèmes et où les aventures des poèmes pouvaient parfaitement se présenter dans la vie. Nous en trouvons un exemple bien postérieur, et très curieux, dans la façon dont a été déformée, assez peu de temps après l’événement, l’histoire de Marie de Brabant, deuxième femme de Philippe III. On sait que Louis, l’aîné des fils que le roi avait eus de sa première femme, étant mort en 1276, Pierre de la Broce, favori de Philippe et ennemi de la reine, insinua que Marie l’avait fait empoisonner. Philippe, un instant ébranlé par cette calomnie, fut rassuré par les déclarations d’une béguine de Nivelle qui proclama, par inspiration de Dieu, l’innocence de la reine. La disgrâce de Pierre et son exécution (1278) furent certainement dues surtout au ressentiment des parents et amis de la reine. Mais en Brabant la légende emprunta à notre thème des traits qui transformèrent cette aventure et qui, chose singulière, ont été accueillis par plusieurs historiens même de nos jours (voy. plus loin). On se borna d’abord à raconter que Jean de Brabant, frère de la reine, averti par une lettre qu’elle avait tracée avec son sang (trait pris aussi à des récits épiques plus anciens), arriva en France, accompagné seulement de son écuyer et de son chien, et provoqua Pierre de la Broce, lequel obtint sûreté du roi : tel est le récit de Louis de Velthem, qui écrivait en 1315 (l. II, c. xlxlii). Dans un morceu qui fait partie de la Chronique de Hennen van Merchtenen (1414) et qui se retrouve dans des additions aux Brabantsche Yeesten copiées au xve siècle (voy. l’éd. de Jan van Heelu de Willems, t. I, pp. 346–348, et son édition des Brabantsche Yeesten, t. I, p. xxxvii), et qui remonte donc au moins aux premières années du xve siècle, on retrouve la même histoire (avec la curieuse addition d’un épisode dont j’ai signalé jadis la