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faux dieux, de faux anges et de faux démons, pour recevoir le martyre et pour exécuter les sauts et les tours les plus périlleux. Jésus aux mains des tyrans, but de tous les genres d’outrages et de supplices, était remplacé par un mannequin auquel on donnait une certaine ressemblance avec l’acteur chargé de représenter le Sauveur dans les autres scènes. Souvent les Anges qui devaient remplir les messages de Dieu descendaient en poupées et reparaissaient en chair et en os devant Notre-Dame ou Notre-Seigneur. Saint-Jean condamné par Hérode mettait sa tête sur le billot, et le bourreau ne tranchait qu’une tête de cire ou de plâtre. Il en était de même de tous les Innocents que les soldats venaient arracher du sein de leurs mères, qui criaient alors du haut de leur tête et qui, percés de part en part, allaient retrouver devant ou derrière la scène leurs véritables parents. Toutes ces feintes, nos théâtres de boulevard, à défaut même de l’Opéra nous en ont donné l’habitude.

Voilà donc la mise en scène, et ce que j’avais à rappeler de la théorie me semble répondre le mieux à toutes les exigences de la représentation des Mystères.

Maintenant, pour revenir au Mystère ou Jeu de la Passion, vous savez que nous avons pu l’étudier ailleurs que dans les leçons retouchées et fort augmentées qu’on a imprimées à la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe. Trois manuscrits, l’un de 1457 et les deux autres moins anciens de quelques années, nous ont donné l’œuvre originale et nous ont permis de reconnaître l’auteur dans Maître Arnoul Gresban, notable bachelier en théologie ; lequel compara ce present livre à la requeste d’aucuns de Paris. À quelle époque Arnoul Gresban écrivit-il cet ouvrage remarquable ? Nous n’avions pas osé dépasser la date du manuscrit, c’est-à-dire l’année 1457. Mais aujourd’hui, deux précieuses quittances nouvellement trouvées à la Bibliothèque impériale parmi les portefeuilles de dom Grenier, l’historien de Picardie, vont nous permettre de surprendre, pour ainsi dire, Arnoul Gresban à son pupitre.[1]

La première du mois de novembre 1452 nous apprend qu’un notable bourgeois d’Abbeville, Guillaume de Borneuil avoit payé à Arnoul Gresban une somme de dix écus d’or pour avoir de lui le jeu de la Passion. Guillaume de Borneuil, possesseur de cette précieuse copie revint à Abbeville et obtint aisément des échevins de la ville

  1. Mss. de la Bibliothèque impériale, no 7206.