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les compara avec deux autres manuscrits conservés dans les bibliothèques publiques de Lyon et d’Oxford ; et persuadé que de trois copies plus ou moins corrompues pouvait ressortir un texte pur, il se mit à l’œuvre, résolu de ne reculer devant aucun sacrifice de temps et d’argent pour rendre à la France, dans le plus ancien de ses monuments littéraires, le plus beau poëme qui fût jamais, à son avis, sorti de la main des hommes. Voilà donc comment, habituant son esprit et son oreille à cette versification étrange, imposante et sonore ; vivant plus chaque jour dans le onzième siècle, et moins dans le dix-neuvième, il en vint, pour ainsi dire, à n’avoir plus d’autre crainte que celle d’arriver au terme de son travail, en arrêtant trop tôt la dernière forme de l’objet de son admiration.

Pendant que M. Bourdillon se livrait avec une sorte de mystère aux voluptés de cette étude, l’éditeur de Berte aus grans piés reconnaissait, dans un manuscrit de la Bibliothèque nationale, cette chanson de Roncevaux, que tout le monde, à l’exception de M. Bourdillon, croyait perdue depuis beaux jours, et dont on n’avait conservé d’autre idée que celle d’une cantilène composée de huit à dix petits couplets. « Maintenant, » écrivait-il à la fin de 1831, « nous ne chercherons plus la fausse chanson de Roland ou de Roncevaux dans quelques pages oubliées de nos anciens manuscrits ; nous n’exigerons plus, dans ce poëme, la brièveté, la forme et jusqu’au refrain habituel des pièces de nos jours qui portent le même nom. Nous nous contenterons de recourir aux manuscrits intitulés : Li Romans ou la Canchon de Roncevals, qu’il était facile de retrouver à la Bibliothèque du Roi ; et après les avoir lus, nous cesserons de croire à la perte de ce précieux monument des traditions et de la littérature françaises[1]. »

L’attention des amateurs de notre littérature ancienne était éveillée ; dès 1832, M. Henri Monin soutint une thèse en Sorbonne sur le texte de la Chanson de Roncevaux conservé dans la Bibliothèque royale ; il en fit une analyse intéressante, il en osa même comparer le mérite à celui de plusieurs chefs-d’œuvre de la belle antiquité.

En 1834 parut l’Essai sur les bardes, les jongleurs et les trouvères normands et anglo-normands, du savant abbé de la Rue : on y

  1. Lettre à M. de Monmerqué sur les Romans des Douze pairs de France, en tête du Romans de Berte aus grans piés.