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Sut à tes fiers accents mêler sa douce voix,

Si sa main délicate orna ta tête altière,
Si son ombre embellit les traits de ta lumière,
Avec moi, sur tes pas, permets-lui de marcher,

Pour orner ton éclat et non pour le cacher.


Les contemporains de Philippe Auguste et de saint Louis, auxquels on auroit ainsi parlé, n’auroient pas manqué d’abandonner la place. « Eh ! quoi, malencontreux jongleur, tu veux nous retenir, et tu nous promets de mêler des mensonges à ce que tu nous chanteras ! Mais comment nous apprendras-tu à les distinguer, et quel fruit nous reviendra-t-il d’entendre raconter ce qui ne sera jamais arrivé ? »

Cependant il est impossible de nier qu’au xiie siècle, et surtout au xiiie, les Chansons de geste, telles qu’on avoit encore tant de plaisir à les entendre, ne fussent très-éloignées de la vérité historique. Elles avoient graduellement subi des remaniements, des révisions, des transformations qui en avoient fait disparoître le premier caractère de sincérité. C’est là ce que je vais essayer de vous expliquer, en exposant les révolutions de la Chanson historique en France.

Les Gestes qui sont arrivées jusqu’à nous, grâce aux transcriptions des jongleurs du xiie siècle et du xiiie, ne sont pas les originaux de la poésie historique. À peine un seul fragment de chanson primitive nous a-t-il été conservé, et, comme vous le devinez déjà, nous en ferons l’objet d’une étude particulière. Cette chanson primitive étoit plus simple, moins longue et plus personnelle, si je puis employer cette expression. Elle paroît remonter à l’origine de la société gauloise. Avant les Francs, les Gaulois avoient l’habitude d’entretenir des bardes ou jongleurs qu’ils admettoient à leurs festins et qu’ils chargeoient de raconter en vers chantés l’histoire glorieuse des temps passés. Je ne reviendrai pas ici sur les nombreux témoignages qui constatent cet usage ; je me contenterai de rappeler trois vers de Lucain au ier de notre ère, quelques lignes