Page:Paris, Paulin - Mémoire sur le cœur de saint Louis.djvu/46

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Note F.

M. de Wailly ne trouve ici rien d’embarrassant. Ou Geoffroi de Beaulieu, pense-t-il, a eu le temps de s’arrêter en Sicile en retournant en France ; ou bien il sera revenu en Afrique, et il aura séjourné en Sicile avec le roi Philippe-le-Hardi, dans les mois de décembre et de janvier. Voici ma réponse :

Les entrailles de saint Louis ne furent pas envoyées en Sicile avant le 10 ou le 12 septembre. Cela ressort de la concordance des lettres de Pierre de Condé et de Philippe-le-Hardi. Le premier écrivait le 7 septembre : « Je ne vous donne pas de nouvelles de la cour ; ceux que l’on charge de reporter en France le corps du roi vous en donneront. Mais comme j’achevais la transcription de ces mots, voilà que l’on m’apprend que le départ du corps royal pour la France est retardé et qu’il n’aura lieu que le 12. » (Spicileg., tom. III, p. 667.) C’est par conséquent dans l’espace écoulé entre le 7 septembre et le 12 que Philippe-le-Hardi prit le parti de garder le corps et de le séparer des intestins. Les intestins ne purent donc être envoyés avant le 10 ou le 12 septembre en Sicile, et comment Geoffroi de Beaulieu, chargé d’une mission fort pressée, arrivant par conséquent au plus tard le 13 ou le 14 en vue de la Sicile (en supposant qu’il n’eût pas fait route directe vers la France, ce qui est peu probable), ne serait-il pas arrivé à temps pour assister à la cérémonie de Montréal ? Pressé comme il l’était, comment n’y serait-il arrivé que longtemps après ? J’en appelle aux personnes dont le jugement est impartial. Qu’elles lisent le texte de Geoffroi de Beaulieu et qu’elles décident.

Mais il aura pu se rendre en France et retourner aussitôt en Afrique ? Oui, sans doute ; mais son retour s’accorderait on ne peut plus mal avec ce que nous savons des circonstances de son départ. Quoi ! dans son livre il n’aurait pas distingué sa deuxième traversée de la première ? Il n’aurait pas dit : Quand nous revînmes pour la seconde fois ! Il aurait omis de parler de l’importante mission dont il avait été chargé ! Cependant voyez quelle merveilleuse diligence il eût faite : non-seulement il eût remis les lettres du roi, mais il eût accompli un grand et long voyage dans les provinces de France, afin d’y faire dire partout des prières pour le repos de l’âme de saint Louis, du beatus rex. La lettre de Philippe-le-Hardi, en date du 12 septembre, est encore ici positive : « Sanè, juxta prædicti piissimi patris nostri supremæ voluntatis arbitrium humiliter postulantis, ut post ejus obitum mitteretur ad personas et loca religiosa per regnum pro suffragiis orationum, … ecce ad diversa regni loca, propter hoc, dilectos nostros viros religiosos, fratrem Gaufridum de Belloloco et Guillelmum Carnotensem de ordine Prædicatorum, — latores præsentium… destinamus. » (André Duchesne, Script. Franc., tom. V, p. 441.)

Reste une troisième hypothèse que M. de Wailly ne s’est pas refusée. Pourquoi un terrible orage n’aurait-il pas retenu sur les côtes de Sicile les messagers du roi de France ? Il n’y a pas d’historien qui nous assure qu’il n’y ait pas eu d’orage. J’avoue sur ce point le silence des historiens : cette supposition est même encore plus dans l’ordre des choses possibles que la fameuse malice attribuée par M. Letronne à Pierre de Montreuil ; mais enfin il ne serait pas mal à propos d’appuyer des faits de ce genre sur quelque semblant de témoignage historique. On ne l’a pas fait.