matinée était belle et, comme les vrais amoureux, il se perdit si bien en rêveries[1] qu’il passa sans rien voir tout près d’une demoiselle arrêtée sous un chêne, et tenant sur ses genoux un chevalier percé de plusieurs coups d’épée. À quelques pas de là, un écuyer gardait le palefroi de la demoiselle. Hector, qui songeait à l’amie qu’il venait de quitter, ne vit pas son cheval froisser le pied du chevalier navré. — « Sire, » lui cria la demoiselle, « vous n’êtes pas des plus courtois peu s’en est fallu que vous n’écrasiez ce chevalier, autant ou même peut-être plus gentilhomme que vous. » Hector n’entend pas et ne répond rien ; l’écuyer court à lui et saisissant la bride du cheval : « Puissiez-vous, dit-il, vous rompre le cou ! — Et pourquoi, beau frère ? — Parce que vous dormez apparemment, au lieu de veiller à votre cheval : ne voyez-vous pas ce malheureux chevalier dont ma demoiselle soutient la tête ? — Hector regarde, et, tout confus, revient crier merci à la demoiselle. « Je pensais, lui dit-il, à la chose que j’aime le plus au monde, et j’étais au regret de l’avoir quittée ; pardonnez-moi, et consentez à me recevoir pour votre chevalier, si
- ↑ Ces rêveries sont fréquentes chez Lancelot, chez Hector et même chez Gauvain. Elles sont le type de celles de Guilan le pensif dans l’Orlando furioso.