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Page:Pascal - Pensées, éd. Havet.djvu/160

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PASCAL. — PENSÉES.
18.

Les choses qui nous tiennent le plus, comme de cacher son peu de bien, ce n’est souvent presque rien. C’est un néant que notre imagination grossit en montagne. Un autre tour d’imagination nous le fait découvrir[1] sans peine.

19.

… C’est l’effet de la force[2] non de la coutume ; car ceux qui sont capables d’inventer sont rares ; les plus forts en nombre ne veulent que suivre, et refusent la gloire aux inventeurs qui la cherchent par leurs inventions. Et s’ils s’obstinent à la vouloir obtenir, et mépriser ceux qui n’inventent pas, les autres leur donneront des noms ridicules, leur donneraient des coups de bâton[3]. Qu’on ne se pique donc pas de cette subtilité[4], ou qu’on se contente en soi-même[5].

  1. « Nous le fait découvrir. » C’est-à-dire nous fait découvrir que c’est un néant.
  2. « C’est l’effet de la force. » Cela se rapporte à quelque chose qui manque ; mais on voit qu’il s’agit de la difficulté qu’il y a à produire des nouveautés, difficulté qui ne vient pas seulement de la coutume, mais de la force, que les nouveautés ont contre elles.
  3. « Des coups de bâton. » P. R. épargne au sage ces coups de bâton, qui ne sont pourtant qu’au conditionnel, et met seulement, On les traite de visionnaires. P. R. fait comme Sosie :

    Pour des injures,
    Dis-m’en tant que tu voudras.

    Mais Pascal n’a pas peur de se figurer les penseurs maltraités grossièrement par la force brutale. Cf. 13. C’est ainsi que Platon nous représente le philosophe souffleté par le méchant (Gorgias, pages 486, 527). Remarquez qu’après avoir parlé de noms ridicules, visionnaires serait bien faible.

  4. « De cette subtilité. » De cette subtilité qui fait les inventeurs, qui fait qu’on secoue l’opinion commune.
  5. « Qu’on se contente en soi-même. » C’est-à-dire qu’on se satisfasse dans son for intérieur, dans la conscience qu’on a de son génie, sans essayer de le produire au dehors.