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Page:Pascal - Pensées, éd. Havet.djvu/169

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ARTICLE VI.

16.

Quand on se porte bien, on admire comment on pourrait faire si on était malade : quand on l’est, on prend médecine gaiement ; le mal y résout. On n’a plus les passions et les désirs de divertissements et de promenades, que la santé donnait, et qui sont incompatibles avec les nécessités de la maladie. La nature donne alors des passions et des désirs conformes à l’état présent. Il n’y a que les craintes[1], que nous nous donnons nous-mêmes, et non pas la nature[2], qui nous troublent ; parce qu’elles joignent à l’état où nous sommes les passions[3] de l’état où nous ne sommes pas[4].

17.

Les discours d’humilité sont matière d’orgueil aux gens glorieux, et d’humilité aux humbles. Ainsi ceux de pyr-

    faire à quelque prix que ce soit. » Le fond de ces idées se trouve déjà dans Montaigne, particulièrement au chapitre de l’Institution des Enfants (I, 25) : « Or nous qui cherchons icy, au rebours, de former, non un grammairien ou logicien, mais un gentilhomme, » etc. (p. 271). Montaigne prend aussi le mot d’honnête homme dans le sens qu’il a si généralement au xviie siècle, de galant homme, d’homme qui est comme il faut être. Voir le passage cité dans les notes sur iii, 18.

  1. « Il n’y a que les craintes. » Par exemple, la crainte d’être malade, dans laquelle nous joignons à notre désir actuel de mouvement, qui vient de la santé, la langueur et l’abattement que produit la maladie. — Nous ponctuons autrement qu’on n’a fait jusqu’ici, en mettant une virgule après le mot craintes. Pascal ne distingue pas les craintes que nous nous donnons d’avec des craintes d’une autre espèce, mais il distingue les craintes en général, lesquelles viennent de nous-mêmes, d’avec les maux, dont la nature est l’auteur.
  2. « Et non pas la nature. » La suite des idées est, que nous nous donnons, et non la nature ; c’est-à-dire, ce n’est pas la nature qui nous les donne.
  3. « Les passions. » C’est-à-dire les affections, les impressions, τὰ πάθη.
  4. « Où nous ne sommes pas. » C’est la même chose, en sens contraire, que ce qu’il a dit au sujet de l’illusion qu’il y a dans nos désirs, iv, 3. Quand nous désirons, par exemple, la santé, étant d’une constitution maladive, nous nous trompons en joignant au plaisir de cet état de santé le malaise de notre état actuel qui nous rend ce plaisir bien plus sensible. Si nous l’avions, nous le sentirions beaucoup moins.