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L’ETAPE

On dirait que la nostalgie de la Toscane, qui décida Marie de Médicis à sa création, flotte autour de ces bassins, de ces terrasses et de ces marbres. C’est l’endroit de Paris où vous aurez encore quelque chance, par cet âge de téléphones et d’automobiles, quand personne n’a plus le temps de rien, de rencontrer un amoureux en train de rêver indéfiniment, et cette occupation peu moderne semble naturelle sous ces larges platanes, à quelques pas de cette façade en bossages où l’exilée de Florence voulut retrouver un souvenir du palais Pitti. Les bustes blancs des poètes, qu’une gracieuse fantaisie édilitaire a placés de-ci de-là dans les massifs, protègent d’un sourire indulgent les paresses sentimentales des promeneurs, étudiants pour la plupart, qui perdent ainsi en folles songeries les heures promises à un pressant et trop aride travail. Que Jean Monneron remplît l’une et l’autre condition du légendaire jeune premier de cet antique Quartier Latin, c’est-à-dire qu’il fût un amoureux et un étudiant, tout dans son attitude et dans sa physionomie le dénonçait jusqu’à l’évidence. Quoiqu’il fît une matinée très fraîche d’automne, — on était exactement au 1er novembre, qui, dans cette année 1900, tombait un jeudi, — Jean restait immobile sur le banc de bois où il s’était laissé choir plutôt qu’il ne s’y était assis, sans prendre garde à l’humidité pénétrante de l’atmosphère. La fièvre de l’attente qui mettait une flamme dans ses prunelles brunes suffisait à réchauffer