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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/148

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L’ÉTAPE

aimable, plus il redoutait que ses assiduités rue Claude-Bernard, auxquelles leur amitié avait fourni un prétexte trop légitime, n’eussent été très dangereuses pour un cœur qui lui touchait de bien près. Était-il vraiment possible que ce compagnon de son adolescence et de sa jeunesse lui eût fait cela, d’avoir avec sa sœur une intimité non pas même criminelle, mais seulement clandestine ? Chaque fois que les deux amis se rencontraient, maintenant, cette question peignait Jean jusqu’à la douleur, et la conscience de cet insultant soupçon, nourri en secret contre un camarade peut-être innocent, lui infligeait une espèce de honte. C’était lui alors qui avait une gêne, presque une timidité de coupable, tandis que Rumesnil conservait vis-à-vis de Monneron cet air d’aisance qui augmentait les doutes et les scrupules de ce dernier. Pourtant il sembla bien à Jean, ce soir-ci, que les prunelles bleues du nouveau venu se posaient sur lui avec une fuite et comme une brisure du regard, qu’il y avait une retraite dans sa poignée de main, et que sa loquacité dissimulait un embarras. Il lui sembla aussi qu’à les voir l’un prés de l’autre, Crémieu-Dax s’était énervé encore. Mais déjà ils avaient gravi les marches qui menaient au premier étage, et ils entraient dans la petite antichambre qui servait de modeste vestibule au local occupé par l’Union Tolstoï, lequel consistait en deux appartements, reliés par un escalier intérieur en tire-bouchon. Celui du dessus contenait