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UN AMOUREUX

nuages plus noirs qui couraient sur ce fond grisâtre, chassés par une bise rude. Cette bise arrachait aux platanes de larges volées de feuilles jaunes qu’elle dispersait sur le gazon, brûlé par l’été d’abord, puis par la précoce gelée. Les géraniums qui bordaient les plates-bandes agitaient leurs dernières fleurs, encore rouges, mais recroquevillées et fanées. Des moineaux piailleurs dont ce vent retroussait les plumes frileuses se disputaient, à quelques pas du jeune homme, un morceau de pain, jeté par un enfant joueur. Jean ne voyait que des passants qui marchaient vite, à cause du froid, et dont la plupart étaient vêtus d’étoffes sombres. Ils allaient, eux aussi, au cimetière, ou ils en revenaient. Tout, dans ce décor funèbre de l’automne commençante, achevait d’accabler l’amoureux. Comment se fût-il retenu de comparer sa détresse présente à la félicité dont il eût débordé, même sous ces arbres aux feuilles jaunies et devant cet âpre ciel, — s’il l’eût voulu, — s’il le voulait, puisqu’il n’avait pas prononcé le « non » fatal ? Et, à de certains moments, il appuyait son front sur sa main avec un geste de révolte, il secouait sa tête accablée et il lui arrivait de répéter à voix haute une simple phrase, toujours la même, celle d’un homme qui raidit l’énergie de sa volonté contre une obsédante tentation :

— « Non. Je ne peux pas. Je ne peux pas… »

Pour éviter toute équivoque, et caractériser