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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/204

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L’ÉTAPE

à cette heure, ne l’étonnât point, et plus encore l’expression de physionomie que Jean prit involontairement, pour lui dire, à voix basse, mais l’indignation frémissait sous chacun des mots :

— « Papa veut te parler, et tout de suite… » Puis, plus bas encore : « Ah ! Faussaire ! Il sait tout !… »

Antoine demeura une seconde comme atterré de cette phrase chargée d’une telle menace. Ses traits se détendirent, puis se contractèrent en une seconde. Du coup, il fut réveillé de sa légère griserie. L’instinct de défense animale, qui se développe chez les criminels avec le crime lui-même, le fit tendre sa taille, redresser sa tête, assurer sa démarche, et il répondit à son frère, avec une insolence agressive :

— « C’est une plaisanterie, n’est-ce pas ? Je ne la trouve pas bonne ! »

Tout en prononçant cette phrase d’un ton de défi, il se dirigea quand même vers le cabinet de son père. Il se dégageait de sa personne une atmosphère de mauvais lieu, mélangée d’une acre odeur de tabac et d’un relent de peau d’Espagne, le parfum favori d’Angèle d’Azay. À mesure qu’il entrait dans la lumière, les traces de sa débauche de l’après-midi et de la soirée devenaient plus visibles sur son masque si jeune, où les cernes des yeux creusaient deux taches bleuâtres. La pâleur exsangue des joues et du front dénonçait une lassitude presque accablée, que le sursaut du danger réveillait pourtant. L’éclat volontaire