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LE CHEMIN DU CRIME

du regard le disait assez, comme aussi l’accent presque hautain avec lequel, une fois dans la chambre, et quand son frère eut refermé la porte sur eux trois, il s’adressa à son père :

— « Qu’est-ce que Jean vient de me dire ? Que tu as à me parler ? Me voici. »

— « Oui, j’ai à te parler, » commença le professeur. « J’ai reçu aujourd’hui la visite de M. Berthier. Ce nom ne te fait pas deviner ce dont il s’agit ?… »

— « Absolument pas, » répondit Antoine. Son visage s’était figé dans une arrogance attentive qui eût crié la faute pour tout autre, mais pas pour l’homme, si naïf malgré ses cheveux gris, à qui l’effronté garçon parlait ainsi. Et puis, Joseph Monneron n’aurait pas été le dormeur éveillé qui, à cinquante ans passés, ignorait tout des dessous réels de la vie, il était père. Les énergies les plus intimes de sa sensibilité appelaient, imploraient une preuve de l’innocence de son enfant. Il voulut la trouver, cette preuve, dans cette dénégation si catégorique. Il regarda Jean, comme pour lui dire : « Tu vois bien… » Et, tout haut, se retournant vers Antoine et insistant encore :

— « Tu n’as vraiment rien à te reprocher dans ton service à ton bureau ? »

— « Rien que je sache, » répliqua le jeune homme, avec la même désinvolture, et il eut l’impudence d’ajouter : « Je m’étonne beaucoup que M. Berthier, s’il avait quelque observation à me faire, ne me l’ait pas faite à moi-même, et qu’il